Luna papa possède cette énergie outrancière nimbée d’un parfum de tragédie, caractéristique du style de certains cinéastes des pays d’Europe de l’Est. On pense ici en particulier au Kusturica d’Underground dont la tonalité exubérante contrastait avec un sujet aux implications dramatiques. Mais le film n’atteint jamais le degré de pertinence ou d’originalité capable d’offrir un exutoire maîtrisé à l’hyperactivité qui traverse cette fable poétique.
Voiture folle à l’itinéraire et à la destination incertaine, Luna papa nous balade en zigzag, parfois même la tête à l’envers, lors de divers tonneaux plus épatants qu’étourdissants, dans une zone aride d’Asie centrale, où les mentalités oscillent sans mesure entre liesse festive et intolérance cruelle. Un soir, la jeune Mamlakat Bekmadourova, enivrée par un clair de lune féerique, s’abandonne dans les bras d’un inconnu dont elle n’entend que la voix. Pour éviter la vindicte des villageois envers cette fille-mère, son père part avec elle sur les traces du mystérieux Casanova d’une nuit supposé être un comédien. Cette quête effrénée d’une ombre mal identifiée donne malheureusement l’occasion au cinéaste de jouer durant une bonne partie du film sur un comique d’inspiration très classique (l’erreur sur la personne) reposant sur les mises à sac répétitives de théâtres par le père déchaîné. L’utilisation sur un mode trop souvent pittoresque des paysages et des mœurs de la région au cours de cette cavalcade écarte définitivement Luna papa d’une route menant vers les contrées singulières espérées. Même les réminiscences historiques d’un passé proche que l’on devine tourmenté, et qui affleurent par le biais des figures de rebelles-pirates ou à travers le personnage du frère de Mamlakat, un jeune homme devenu doucement cinglé après avoir sauté sur une mine en Afghanistan, n’évitent pas la sortie de route.
Lorsque les vaches tombent du ciel pour tuer net un mari parfait si longtemps attendu, Luna papa prend enfin fermement le parti d’une joyeuse dérision mélancolique pour faire face à la tristesse d’une vie sordide. Le film s’élève alors in extremis vers une dimension hautement surréaliste, mais aux finalités pourtant tout aussi dispersées que l’ensemble de cette œuvre aussi ludique qu’hétéroclite.