Lulu on the bridge est un film qui divise : on y a vu une œuvre simplette, mièvre et immature. Laisser le film à cet état de faits relégué par la critique cannoise (où le film était en sélection officielle) serait peut être oublier ses indiscutables qualités et son ton si particulier. L’histoire est certes naïve : après s’être fait tirer dessus, un saxophoniste échappe de justesse à la mort mais ne pourra plus jamais jouer. Cet incident métamorphose sa vie. Il trouve près d’un cadavre une étrange pierre lumineuse ainsi qu’un numéro de téléphone qui le mène jusqu’à une actrice dont il tombe amoureux…
Ce qui plaît vraiment dans Lulu, c’est la manière dont l’histoire devient de plus en plus onirique, c’est la promiscuité entre Harvey Keitel et Mira Sorvino, et c’est le sentiment mélancolique qu’Auster arrive à nous communiquer par le biais d’une mise en scène extrêmement sensitive. Le film a peut-être la texture d’un roman à l’eau de rose, mais Auster hausse progressivement le débat. Pas trop. Le film ne force jamais à l’interprétation. Le ton est léger, c’est celui d’un conte. Et comme un conte, le film est simple, et un tantinet moralisateur. Cela pourrait horripiler mais le ton reste modeste et personnel.
Chaque personnage est un stéréotype : Izzy, musicien bourru et de mauvaise nature, en proie à l’examen de conscience et au ressentiment ; Celia, l’opposé d’Izzy, toute en sourire et en délicatesse, la rédemption même pour le héros ; et ce très bon personnage interprété par Willem Dafoe, qui retient Izzy dans une chambre dérobée et lui force à sonder sa conscience… Auster n’a cherché à faire plaisir à personne sauf à lui-même et c’est pour cela que le film lui est si propre, si dépourvu d’artifices, qu’il est une définition même de son univers littéraire. Ce mystère autour de la pierre magique, sa symbolique (je vous laisse la trouver), est une riche -mais encore une fois simple- idée parmi tant d’autres. Ce folklore somme toute assez osé peut irriter, l’ensemble étant assez niais. Mais le spectateur indigent trouvera en Lulu la texture de ces vieux films d’époque, ceux qui semblent être faits en hommage à une femme et au sentiment qu’elle évoque.
A l’heure où le cinéma ne se soucie plus des vraies histoires d’amour et où la qualité de celles-ci les destine uniquement à la ménagère de moins de cinquante ans, Auster arrive à faire de Lulu un beau poème inconscient, peut- être un peu simplet et conventionnel mais doté d’une belle émotion, simple, pure et que l’on ne peut que remarquer. De quoi pardonner aisément des dialogues parfois ridicules et un rythme qui s’essouffle dans sa deuxième partie. On se prend à penser qu’Auster (re)découvre le cinéma avec un œil naïf, mais à la fois réminiscent des films d’antan. Caractéristique remarquable et rare dans le cinéma contemporain. Un film simple, modeste, réussi.
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