Lucy n’est pas le portrait misérabiliste et mélo d’une fille-mère de 18 ans. Tant mieux. Malgré un sujet un peu bateau, le film échappe aux clichés, sa retenue presque mutique le mène tout droit sans verser dans le psychodrame. Henner Winckler a compris que le drame d’une fille-mère, ce n’est pas l’incapacité à élever son enfant, mais le bouleversement de l’ordre des âges. Avec le bébé sur les bras, tout part en compote. Bien sûr, Maggy, la mère de Lucy (contre toute attente, le titre désigne non pas l’héroïne mais ce bébé encombrant avec lequel il faut compter et qui rend tout très compliqué) semble bien trop jeune pour être mère, partant de là les déséquilibres se multiplient : sa propre mère a plus l’air d’une copine, son copain soi-disant plus âgé joue à la GameBoy en cachette et le père du bébé a encore le nez plein de lait. Pour tous, c’est l’âge ingrat. Au milieu de ces pré / post-ados, les haussements d’épaules et la moue embarrassée de Maggy (Kim Schnitzer) incarnent quelque chose d’assez indécidable entre l’enfance et la maturité. Mais la disproportion de taille incite toujours les plus grands à vouloir la prendre dans leurs bras en disant : « Allez, viens ».
Quand on n’a pas l’âge qu’il faut, du coup où trouver sa place ? Le film ne ménage pas de transition et nous trimballe comme le bébé d’une scène à l’autre, d’un endroit à l’autre. On ne sait plus si l’on est dans la chambre de l’enfant ou dans celle de sa mère, chez la mère de Maggy ou chez son copain, dans la cour du lycée ou devant la crèche. Rien de stable, c’est le ballottage constant (les portes claquent et les bagages circulent) jusqu’à la dérive finale. Lucy est un film d’actions, brèves, efficaces et incessantes.
Un peu trop écrasée par un quotidien sans issue (Allemagne oblige), Maggy rejoint ces héroïnes évanescentes héritées du cinéma moderne qui, à force d’épreuves, finissent par disparaître. Dans le mouvement de la « Nouvelle vague allemande », le deuxième film de Henner Winckler (après Voyage scolaire en 2002) fait bonne figure, même s’il en reste à l’analyse d’une crise sans imposer les trouées vertigineuses qui font la grandeur de ce cinéma -cf. Marseille de Angela Schanelec et Montag de Ulrich Köhler, inédit, pas pour longtemps.