Lovers ne manque pas de bonne volonté. Ses intentions sont même plutôt louables : pour sa première réalisation, Jean-Marc Barr a voulu tester les recettes du Dogme nordique en racontant une histoire d’amour à Paris, cherchant ainsi à détonner dans un cinéma français actuel que l’on accuse parfois d’être un peu frileux dans l’expérimentation des formes. Jane (Elodie Bouchez) est vendeuse dans une librairie d’art. Un beau ténébreux (Sergeï Trifunovic) pousse la porte et baragouine avec un accent slave le nom d’un peintre vénitien. Très vite -quoi de plus naturel ?- c’est l’amour fou. La caméra, allègre et trébuchante, suit les amants dans un Paris nocturne, partage leurs moments les plus intimes, cherche à rendre palpable l’attirance physique et la tendresse qui les lient. C’est une suite de « moments volés » dont se repaît la fameuse caméra numérique : comme si un dispositif à l’efficacité désormais estampillée pouvait réellement rendre une histoire attractive, des acteurs convaincants, une lumière vibrante, un décor vrai parce que « naturel » ?
Il faut dire que la facilité guette celui qui tient les règles du Dogme pour une sorte de carte blanche : il ne doit pas ignorer que le cinéma, pratiqué traditionnellement comme un art d’artifices, a le pouvoir d’être plus vrai que nature. A l’inverse, et c’est bien le comble, le « naturel » tant revendiqué devient ici un artifice de style. Faute d’un vrai regard, la mise en scène est le plus souvent à côté de la plaque : le gros plan n’est pas nécessairement un gage d’émotion, pas plus que le mouvement n’apporte a priori un surcroît d’expressivité. A force de scruter béatement ces visages, ces échanges de regards, ces poses et attitudes amoureuses, Lovers se limite à la surface des choses, aux manifestations extérieures, sans livrer aucune analyse. Jean-Marc Barr sacrifie tout point de vue et laisse ses acteurs agir en roue libre. Il tente bien de nous vendre son amateurisme par quelques travellings hasardeux, à grand renfort de zooms intempestifs, mais la sauce ne prend pas : l’histoire est faible, et le propos, malgré quelques efforts de lucidité, n’échappe pas à la mièvrerie. Jane et Dragan s’aiment, Dragan est clandestin, Dragan doit partir. Dans le secret, ils essaient d’apprendre à se connaître et à vivre ensemble, mais la vie les sépare. On n’en apprend malheureusement pas assez sur eux pour pouvoir s’en émouvoir.
Il y a bien, à certains moments, une forme de complicité entre les acteurs et le metteur en scène. Elodie Bouchez parvient à rehausser son rôle lui prêtant sa candeur lucide et son indéniable talent. Son émotion est réelle, admirablement maîtrisée. Mais on la perçoit sans la ressentir puisqu’on ne peut la rapporter à une logique profonde du personnage ou du récit. Et puisque aucune construction digne de ce nom n’anime le film ni les scènes qui le constituent, la fixité et l’insistance du regard ne font que renforcer la gratuité de l’effet. Le pire advient lorsque Jean-Marc Barr et son scénariste Pascal Arnold sortent les grandes phrases et nous servent d’insipides développements de métaphysique amoureuse. « L’innocence n’est pas morte », nous dit-on. La naïveté non plus. Rien, ici, de comparable au magnétisme de Lars Von Trier ni à la force blasphématoire de Festen. Dans la série des films Dogme, Lovers fait l’effet d’un coup d’épée dans l’eau.