« Un film qui fera bander les mecs et pleurer les filles », annonçait la promo déchaînée de Love. On connaît depuis Seul contre tous ce goût qu’a Gaspar Noé pour les high concepts tapageurs. Le souci, ici, c’est que ces promesses semblent maintenant bien contradictoires avec le plaidoyer déployé ensuite au moment où la censure venait contester la sortie du film. Celui-ci, expliquait alors Noé, n’aurait en fait pas la vocation d’exciter. Son producteur Vincent Maraval, de son côté, a tenu à distinguer le film, qui n’aurait rien de masturbatoire, du porno pur sucre – celui « qui traite les femmes comme des bouts de viande ». Après le recul du Ministère de la culture, l’affiche officielle profitait malicieusement de la polémique, annonçait un nouveau tour de force : « enfin un film d’amour interdit aux moins de seize ans ! »
Ces remous, auxquels on pourrait bien ne prêter aucune attention, révèlent tout de même une confusion intéressante, qui dit bien la limite du projet de Noé : film d’amour pour pleurer ? Film porno pour bander ? On ne sait plus, et à vrai dire, le film ne semble pas le savoir non plus. Dans sa forme comme dans sa narration, Love est comme construit autour d’une scission entre la décharge de fluides et le brasier des passions. Murphy, alter-ego de Noé, y est un cinéaste approximatif, végétant dans le ventre de Paris – ville aussi monstrueuse qu’au temps d’Irréversible, noyée dans les faisceaux rouge profond des clubs échangistes ou des F3 calfeutrés. Sa vie sexuelle est chamboulée par deux rencontres aussi belles que destructrices. D’une part, une blonde froide qu’il n’aime pas mais avec qui il va fonder une famille ; de l’autre, une brune ardente et vénéneuse, pour laquelle il brûle mais avec qui l’idylle semble impossible. Sur les conseils d’un flic jambon-beurre joué avec brio par Maraval (!), il tente la débauche dans les backrooms hétéros, espérant y trouver une solution. Mais la baise sans sentiments s’avère à la fois dantesque et vaine. Les boites de nuit explorées par Murphy rappellent même le Rectum d’Irréversible, foyer du Mal où le Diable se voyait terrassé à grands coups d’extincteur sur le crâne.
Noé creuse ici une distinction entre l’animalité et l’amour pur qui, en plus d’être un peu idiote, impose à son film un dangereux déséquilibre. Bien que réellement inspirées ça et là, les scènes de partouze prennent vite un tour caricatural, surtout quand l’auteur les oppose aux séances d’attouchements conjugaux dans la chambre utérine de Murphy (celles-ci, graves et souffreteuses, semblent d’ailleurs pensées pour désamorcer l’excitation). L’Enfer de la chair dehors, la pureté de l’amour dedans : c’est à peu près l’idée, et on y retrouvera l’étrange moralisme déjà à l’oeuvre dans Enter The Void. Noé y confrontait de façon similaire l’ignominie du monde extérieur à l’utérus de Maman, dernier refuge contre la barbarie. La 3D accomplit d’ailleurs un pari aussi passionnant qu’osé, mais qui renforce le clivage entre amour et barbarie libertine : mis à part quelques gags, dont une éjaculation en relief en direction du public, Noé s’en sert davantage dans les scènes de réclusion des deux amants, offrant une consistance aux oreillers et aux draps froissés, en quête d’une symbiose avec les corps énamourés.
Or c’est précisément là que le film fait chou blanc. Isolant son couple central dans un cocon intimiste qui évoque plutôt une bulle autistique, Love leur ôte à a fois leur vérité et leur érotisme. La vision stroboscopique se perd donc entre deux eaux, celle du mélo embrasé et celle du porno hallucinatoire. Film pour pleurer, film pour bander, Noé ne tranche pas. Mais au moins lève-t-il le malentendu tenace qui persistait jusqu’ici sur son compte : sous la fascination pour le vice et les paris esthétiques grandiloquents se blottit, en position foetale, un petit enfant résolument fleur bleue.