Initialement baptisé Terminus des anges, le nouvel opus d’André Téchiné a changé de titre en cours de tournage. Loin, adverbe des possibles qui résonne comme une invitation au voyage : loin de la France (le récit se déroule à Tanger) et, peut-être aussi, de l’impasse d’Alice et Martin, le film précédent de Téchiné et l’un de ses pires échecs critiques et financiers. Sans renoncer au trop plein de romanesque qui étouffait les compositions de Juliette Binoche et d’Alexis Lioret, l’auteur de Ma saison préférée opte pour une forme plus souple (notamment grâce à l’utilisation de la DV), une dramaturgie plus éclatée, distillée à travers les destinées de nombreuses figures, dont trois semblent se détacher. Serge (Stéphane Rideau), chauffeur routier chargé du transport de vêtements entre la France et l’Afrique. Sarah (Lubna Azabal), jeune femme brisée par la mort de sa mère et qui hésite à abandonner la pension familiale pour commencer une nouvelle vie au Canada. Enfin, Saïd (Mohamed Hamaïdi), dont le seul rêve consiste à fuir clandestinement le Maroc pour l’Europe. Entre eux et quelques autres, les thématiques téchiniennes circulent mieux que jamais : les passions contrariées ou avortées, les éphémères étreintes charnelles, l’attirance pour les corps étrangers. Les enjeux scénaristiques, aussi passionnants soient-ils, importent pourtant peu. Ici, le désir prime. Celui qui lie les protagonistes ; et surtout celui que Téchiné éprouve pour chacune de ses créatures, personnages et interprètes confondus dans un seul élan amoureux.
Quasiment débarrassé d’une écriture aux accents artificiels (Les Voleurs, Alice et Martin), Téchiné retrouve la plénitude des Roseaux sauvages, dont Loin pourrait être une sequel improbable et rêvée (Stéphane Rideau et Gaël Morel y ont les mêmes prénoms et se remémorent leur adolescence commune, tandis que Lubna Azabal n’est pas sans rappeler -en cent fois mieux- Elodie Bouchez). Alors que les histoires individuelles racontées par le cinéaste ont rarement paru aussi limpides et profondes, son film tend paradoxalement vers une sorte d’ascèse. La grâce de Loin tient en effet à trois paramètres essentiels : les visages, la route, les paysages. Au cœur de Tanger et de ses rues grouillantes de monde, les multiples tragédies ont beau se lire ou se deviner avec une intensité certaine, importent avant tout les expressions des héros, leur trajet dans la ville, près de la mer, ou bien sur des chemins nocturnes et désertiques (l’étrange aventure de Serge face à un trafiquant paysan). Comme si, pour une fois, Téchiné avait laissé suffisamment d’espace à ses personnages pour respirer et à son spectateur pour se livrer à la contemplation de leur monde, enrichie mais à peine perturbée par les frémissements intimes de la fiction.