Le problème de Kiyoshi Kurosawa, ce n’est pas la qualité de ses films, mais le fait que personne ne les voit. Depuis sept ans que son oeuvre est distribuée de manière chaotique sur les écrans français, il faut se rendre à l’évidence : d’un point de vue commercial, KK, c’est peanuts. Quelques milliers d’entrées, c’est tout. Au point qu’on ne sait plus si l’on pourra continuer de voir sur grand écran cette oeuvre essentielle du cinéma japonais contemporain. On se demande déjà si Retribution, le film qu’il a réalisé après Loft et qui fut présenté à Venise cet automne, sera visible. Doppelgänger, tourné en 2003, lui, n’avait pas eu cette chance : il était pourtant très réussi, sans doute plus que le Loft en question, mais venait dans la foulée du grave échec cannois de l’admirable Jellyfish. On pourrait remonter comme ça le cours des vingt-cinq années durant lesquelles le cinéaste s’est constitué une filmographie de tout premier ordre, citer les excellents Séance, Kaïro, Charisma, Cure, License to live, Barren illusion et même les passionnantes séries B tournées auparavant, qu’un festival parisien avait montrées en 99, sept ans déjà. En attendant, de nombreux réalisateurs extrême-orientaux de films d’horreur ou fantastiques ont connu de beaux succès dans nos contrées, mais pas celui qui les surpasse tous. Dommage.
Ça tombe mal, qu’il faille encourager à voir le nouveau Kurosawa alors que celui-ci est une semi-déception. Loft, donc, est un Kurosawa mineur, on y trouve à boire et à manger. Nul autre moyen, pour rendre compte de ce qui est aussi, logiquement, une semi-réussite, que de le saucissonner. Film de fantômes qui emprunte des chemins par trop balisés, avec son carnaval de spectres dont les apparitions ne sont qu’une fois sur deux à la hauteur de la créativité du cinéaste en ce domaine. Intrigue confuse, très confuse, avec un finale bien grandiloquent, presque grotesque. Acteurs au jeu parfois limité. Reprise de motifs déjà exploités, en largement mieux, dans d’autres films. Certes. Mais à l’inverse, Loft réserve son lot de surprises et d’idées entêtantes -mieux : du nouveau dans le cinéma de KK.
Le premier quart d’heure du film est à la hauteur de ce que l’on en attend. Une jeune romancière étouffe dans son appartement tokyoïte, elle est même prise de convulsions malsaines qui s’achèvent par des vomissements de boue noirâtre -à moins qu’il ne s’agisse d’hallucinations. Kurosawa donne sa pleine mesure dans cette ouverture, son génie du cadre tant vanté et cette intensité sourde qui est sa marque de fabrique s’y donne sans retenue. La suite est plus conventionnelle : l’héroïne s’installe à la campagne et se frite avec un spectre. Kurosawa y réserve toutefois de grands moments de terreur, comme il en a le secret.
La nouveauté du film est double, c’est d’abord le décor mâtiné d’une sorte d’imaginaire gothique nippon (marais, vent, lac brumeux) et surtout l’introduction du mélodrame dans le canevas apeuré de la lutte contre les fantômes. Kurosawa filme une rencontre amoureuse, ça ne lui était jamais vraiment arrivé, lui qui préfère les films de couple. La grande scène du film est un dialogue sous le vent, où, comme dans le film du même nom, la puissance primitive des éléments est convoquée comme par magie. Rien que pour cette séquence, le film vaut le déplacement. Allez-y.