Les films aussi ont parfois besoin d’un petit remontant. C’est une facilité courante pour une histoire en voie d’assoupissement d’expédier une substance récréative dans le corps d’un personnage. Combien de joints fumés comme accélérateurs de comédie, d’hallucinogènes absorbés visant une incursion dans le fantastique, à peu de frais ? Et puis, il y a les films qui se droguent d’entrée et se font pour devoir d’explorer les facettes dépliantes et prolifiques de la défonce. C’est plutôt cette tangente que prend Eddie Morra, écrivain procrastinateur et incapable de révéler l’authentique fond de génie qui se planque derrière son réseau de névroses et de vaisselle sale. Il tombe sur Vernon, ex-beau-frère énigmatique, qui, bon camarade, lui tend une jolie pilule translucide censée le transporter rapidement dans un bonheur épais. L’argument coup de poing du dealer et du film : des vingt pour cent de matière grise utilisés par ton cerveau humain quotidien, le cacheton te propulse dans le cent pour cent. Eddie commence par un numéro de charme sur sa jolie voisine et se retrouve rapidement dans une configuration de super héros, entre Matrix et Will hunting (les doutes en moins).
La première moitié du film se met à foncer sans conscience, de performance en exploit, frimeuse, cynique et pas désagréable, proies faciles que nous sommes aux débordements d’endorphine, et ce malgré le flot constant de clichés et de facilités que s’autorisent les scénaristes. Limitless s’offre alors une métaphore visuelle plutôt juste, un effet spécial, sorte de zoom avant infini dans les rues de New York (c’est aussi le générique) qui définit assez bien la décadence fonceuse du film. Et puis une deuxième partie un peu essoufflée s’installe, inévitable descente, parsemée de quelques montées, plus poussives, et qui met Eddie en bisbille avec d’approximatifs gangsters balkaniques. Le spectateur se retrouve là dans la même position que lui et n’attend plus que les courtes phases où il gobera son produit, pour redonner un peu de couleur au film (la photo se ternie solennellement lorsqu’Eddie est à jeun, clin d’œil bêta au code couleur de Soderbergh, dans Traffic). On aurait aimé voir le récit sombrer dans des méandres dickiens, mais il s’en tient à son programme éducatif sur la drogue et ses tourments. Sur ce chapitre préventif, dont on croit entendre les gros sabots, le film conclue cependant de manière très surprenante, avec une amoralité rare. L’addiction, un des thèmes les plus répandus dans le cinéma américain contemporain, traduit-elle une convoitise irrésolue pour les séries télé, ces films qui savent se rendre indispensable à leur spectateur ? Limitless se rêve sans limite et s’aménage, en bout de course, une suite possible. Le cas échéant, il faudra songer à inviter un peu plus de consistance aux rêveries de toute-puissance d’un héros puéril et sans envergure.