Lukas Moodysson, réalisateur sympa, avec ses films sympas (Fucking Amal, Together), opte cette fois-ci pour un sujet pas sympa du tout : les mafieux des réseaux de prostitution, qui en agitant le miroir de la vie facile à l’Ouest, attirent dans leurs filets les alouettes innocentes de l’Est. Lilya, une adolescente, vit dans la banlieue atrocement grise d’une ville bétonnée d’ex-Union Soviétique. Sa mère, en partance pour l’Amérique, lui fait croire qu’elle va l’emmener mais l’abandonne in extremis à son triste sort. Comme seule distraction, il ne lui reste que la colle à sniffer et les discussions nocturnes avec son voisin, petit kid solitaire et fan de basket, battu par son père. Mais alors que tout le monde la rejette (amis, voisins, reste de famille, tous la suspectent d’être une fille facile), débarque un garçon attentionné qui s’éprend d’elle et lui redonne un peu d’espoir. Son prince charmant ? Sûrement pas, le diable est un épouvantable rabatteur de prostitués et envoie notre Cosette en Suède où elle sera battue, violée, obligée de se prostituer dans la banlieue sinistre d’une ville aussi lugubre que la sienne. Le suicide sera-t-il une consolation valable ?
Le problème d’un réalisateur sympa, quand il se sent obligé d’aller vers le sérieux, avec son gros sujet sous le bras et un air affecté de circonstance, c’est qu’il tombe immédiatement dans l’attitude symétriquement inverse. Une scène résume à elle seule le propos de ce film glauquissime : Lilya court après la voiture de sa mère qui l’abandonne comme on laisse un chien au bord de l’autoroute, sur la route des vacances. Et où croyez-vous qu’elle va se casser la gueule, Lilya ? Dans la seule flaque de boue du terrain vague. Et pas à côté, non, au beau milieu. Et au ralenti s’il vous plait. Aucun enjeu de cinéma, aucune idée de mise en scène ne vient secouer tout ça. C’est que le réel, qui a bon dos, s’occupe de tout, livre clés en main la matière première. Pas besoin de coller du cinéma là-dessus, ce serait lui faire déshonneur. Onirisme douteux (Lilya et son petit compagnon d’infortune, suicidé lui aussi, transformés en angelots martyrs), métaphores scolaires, discours tout tracé et remplissage à la truelle de péripéties misérabilistes fournissent le minimum syndical pour décrocher le label « film dur, fort ». Avec une sorte de délectation hypocrite soigneusement camouflée sous l’étiquette du réalisme social, Lilya 4-ever se vautre dans le sordide sans le moindre point de vue. Et pas à côté, non, au beau milieu.