Lillian et Thirteen forment une sorte de diptyque, un double portrait de femmes qui, en fusionnant idéalement documentaire et « indy’s touch » déniaisée, réussissent à n’être ni l’un ni l’autre, mais plutôt un double film familial et familier, très attachant. David Williams, peintre et photographe à l’origine, évolue dans un univers dont on sent qu’il lui est proche, et filme la vie d’une femme -Lillian- et de sa fille adoptive, Nina, en prenant la liberté de faire de celle-ci tantôt la fille, tantôt la petite-fille de celle-là.
Dans Thirteen, centré sur les 13 ans de Nina, on sent d’emblée qu’une émotion innocente s’écoule des images, de celle que l’on ressent devant des photos jaunies d’inconnus. Un sentiment qui tient pour l’essentiel au dispositif de cinéma mobilisé par David Williams : filmage en Super 16, qui installe immédiatement les images dans le régime du film de famille, musique doucement mélancolique (piano, violon), ralentis esquissés qui diffusent dans le plan le rythme d’une feuille d’automne s’échouant dans un jardin triste. Cette émotion ne nous quitte plus vraiment, quand bien même un timide récit se met en branle, quand bien même ce récit emprunte le chemin balisé de la chronique d’adolescence. Car Thirteen cherche moins à viser un sujet (l’âge ingrat, la déprime pubère) qu’à flotter autour et cueillir ça et là la vérité d’un lieu -une maison dans le sud des Etats-Unis- et de ses occupants. L’extrême douceur de la mise en scène a cette curieuse propriété de voiler peu à peu le regard, d’effacer sans heurts les lignes de la page où s’écrit l’aventure de Nina (une fugue champêtre apaisée), pour ne laisser qu’une impression de trouble et d’étrangeté vaporeuse. Le quasi autisme de la silencieuse héroïne ajoute encore au sentiment que ces personnages n’existent plus, qu’ils ont laissé la maison vide et au spectateur le soin d’y sentir la présence de fantômes.
Tourné en premier, Lillian semble moins abouti, plus accroché à des effets de réels que Thirteen, quatre ans plus tard, éliminera en douceur. Le gonflage du 16 mm en 35 impose une petite distance que Thirteen, plus volage et fragile, n’aura plus. Lillian est cette fois le centre du film, lequel, délesté de toute pulsion fictionnelle, s’attache à dessiner le portrait de cette femme occupée pour l’essentiel à dispenser de l’amour aux êtres dont elle s’occupe, des vieillards moribonds et des enfants recueillis. Ce qui frappe là encore, c’est l’extrême fragilité de la présence de chacun. Chaque corps semble disposé, de lui-même, à s’évanouir. L’absence est le vrai sujet des deux films, auquel l’omniprésence de Lillian, ses déambulations chaloupées dans les couloirs de la maison, fournit un éphémère contrepoint. D’où cette urgence tranquille (dans son rythme) et en même temps percluse d’angoisse qui semble habiter la mise en scène de David Williams, conscient qu’il faut du temps pour capter une présence, mais aussi qu’il faut agir vite avant qu’elle ne s’évapore.