Jusque dans ses plus obscurs nanars (Je suis né d’une cigogne, Exils), le côté bon bougre du cinéma de Tony Gatlif nous reste sympathique. Mini-Kusturica patrimonial, le manouche du cinéma français fait un peu partie des meubles, comme on dit. C’est un peu sa limite – le confort folklorique un peu béat sur lequel repose une oeuvre se rêvant en brûlot de marginalité – mais rien de grave : la Grand’route parsemée de symboles gros comme des patés du cinéaste réserve souvent son petit lot d’enchantements. Mais Liberté voit plus grand que d’habitude : le film s’attaque à un sujet relativement tabou de l’histoire de France (la persécution des populations gitanes pendant la D Guerre mondiale) et narre le destin d’une petite troupe de nomades ballotée par les vents délétères du régime de Vichy. Surprise, Gatlif trouve dans ce genre ultra-risqué – le film à thèse sur fond de reconstitution historique – un terrain d’expression idéal : à plusieurs reprises, Liberté prend même des allures de thriller champêtre revenu d’une autre époque, avec sa photo bellegosse de film italien des seventies et sa raideur costumée soigneusement mise en mouvement.
Même les partis-pris les plus impensables (Marc Lavoine en maire de village résistant face à l’abjection généralisée) passent comme une lettre à la poste : c’est que Gatlif traite absolument tout (sujet, personnages, « grandes scènes » comme celle dans les camps de concentration ou petites scènes intimistes) sur la même ligne d’intensité : celle d’une naïveté un peu transie, qui se partage entre empathie documentaire et élégance formelle. Etrangement, cette approche fonctionne surtout lors des moments les plus redoutés – tout le fonds de mélo vieillot façon Au revoir les enfants, avec les scènes dans la petite école du village. C’est que Gatlif les filme au fond comme s’il réalisait La Guerre des boutons, incapable de trop de pathos, façon gentil cancre ne rêvant que d’école buissonnière. C’est donc tout aussi logiquement que les détails gatlifiens en diables dont Liberté est truffé (le personnage du jeune fou épris de liberté libre qui se met à courir sur des voies ferrées en hurlant, toujours filmé de la même manière), rayonnent au contraire de cet indécrottable rimbaldisme de cours de lycée qui colle à la peau du réalisateur. On a tellement vu dans l’oeuvre de Gatlif ces travellings filant à travers prés, forêts et potagers, ces suspensions musicales filmées comme un reportage pour Tracks qu’ils apparaissent, dans ce qui demeure assurément le meilleur film du cinéaste, comme de pures digressions.