Rien qu’en lisant le générique, la migraine nous prend… Comment Robin Wright Penn, Keanu Reeves, Alan Arkin, Maria Bello, Monica Bellucci, Blake Lively, Julianne Moore et Winona Ryder vont-ils pouvoir coexister dans le même film sans se marcher sur les pieds ? Autant faire entrer un troupeau de mammouths dans un autobus… Comment la réalisatrice Rebecca Miller, par le recours à un casting collégial digne des pires Altman, va t-elle éviter l’enfilade de numéros, la guignolade et l’effet « clins d’oeil » 100 % artificiel ?
Comprenez bien, Pippa Lee est un film puzzle. Une mosaïque qui assemble comme autant de petits galets de verre non pas les vies de plusieurs personnages, mais plusieurs vies d’un seul. Pippa (quel prénom naze) est une desperate housewive, upper class fade et femme de, vivant dans l’ombre de son mari éditeur et le dédain de sa fille grand reporter. Sa vie stagne, figée comme une vieille sauce, partagée entre l’ennui bourgeois, l’hypocondrie, les descentes au Drugstore pour acheter des clopes, et la sexualité d’une tourte. Bref, le spleen dans toute son horreur. Emma Bovary, le retour ? Non, contrairement à l’héroïne de Flaubert, son esprit ne file pas ici vers le songe et le fantasme, mais vers son passé. Un passé lointain et punk, d’une enfance plombée par une mère (géniale Maria Bello) accro à la Dexedrine et plus toxique tu meurs, à une jeunesse without a cause. Jusqu’au drame, un coup de pétard dans sa vie qui la fera donc basculer dans cette léthargie mémère.
Le challenge du film consistait à réussir un grand écart facial entre présent et passé. On frôle la déchirure musculaire au début, tant les scènes d’avant-après s’enchaînent vite et mal. Le ton switche, sans prévenir, du drame hystérique (les crises de nerf familiales) au burlesque (au B-Day de Pippa, sa mère hurle « J’ai accouché d’un singe » à travers toute la clinique), en passant par le débile léger (la séance de photoshoot sado maso avec Julianne Moore). Mais petit à petit, le film retrouve de l’équilibre, et propose cet exercice anatomique jouissif : disséquer notre Desperate housewive, comprendre son horlogerie intime, dénuder les fils du présent par le bistouri du passé, la morale « Il ne faut pas se fier aux apparences » en guise de serment d’Hippocrate.
Et notre casting titanesque, alors ? Film choral oblige, la tentation de passer en revue, de distribuer bons et mauvais points, est trop forte. Robin Wright-Penn s’en sort avec les honneurs, mais c’est surtout la « gossip girl » Blake Lively, en Pippa Lee jeune et junkette, qui prend la lumière. Pour le reste, Alan Arkin promène sa solidité de vieil ours mal léché (dans tous les sens du terme) pendant que Monica Bellucci, Keanu Reeves et Julianne Moore errent comme des âmes en peine, la mine en point d’interrogation. Ils semblent là sans savoir pourquoi, dans des rôles de « ponctuation » plus que de composition. Car c’est le plus grand reproche qu’on puisse faire à Rebecca Miller (fille du dramaturge Arthur) : Les Vies privées de Pippa Lee devait être un roman au départ, et ça se ressent cruellement. Les images ont souvent le goût et l’odeur du papier, le montage s’ordonne en chapitres, trop de personnages font les « virgules » et hachent l’histoire menu menu. Dommage : au cinéma, même quand l’ennui ou l’insensibilité gagnent le spectateur, il lui est impossible de sauter des pages.