Le seul enseignement du second film de Sam Mendes, c’est que, de l’Amérique des années 30 à celle d’aujourd’hui, rien n’a vraiment changé. De ces Sentiers de la perdition à American beauty, d’Al Capone à Lester Burnham, qu’avons-nous appris ? Et Sam Mendes, petite coqueluche pseudo rebelle d’Hollywood, qu’a-t-il appris de tous ces détours ? Pas grand-chose, ou peut-être si, que la morale est une affaire important et qu’elle doit être sauvée. Sauvée comme l’âme de Lester Burnham, ce Faust du pauvre attiré par les Méphistophélès de banlieue pavillonnaire. Comme celle de Mike Sullivan, le héros des Sentiers de la perdition.
Le film est à peine entamé que, patatra, les premiers tiraillements moralistes de Mendes nous assaillent. La morale, chez lui, est toujours un vaccin, un liquide trouble qui immunise contre toute déviance, une substance pré-empirique. Quelque chose qui vient avant plutôt qu’après les événements, de peur que le spectateur ne se fourvoie. Dès le prologue du film, on sait à quoi s’en tenir : Mike Sullivan est par-delà le bien et le mal. Inutile de chercher à le juger. Pour toute espèce de problématique, allez voir ailleurs. Mike Sullivan (Tom Hanks) n’est donc « ni bon, ni mauvais, c’est juste un père ». Un bon père de famille d’ailleurs, dont les enfants ignorent la profession, si ce n’est qu’il travaille pour Mr Rooney (Paul Newman), l’homme fort de la ville. Quand l’aîné, Michael Jr, découvre qu’il est en fait homme de main, la figure du père s’écroule. Trahi par ses anciens commanditaires qui exécutent sa femme et son autre fils, Sullivan entraîne son fiston dans une cavale désespérée, avec un folklorique tueur à gages à leurs trousses.
On sent très vite ce qui intéresse Mendes : héritage, savoir, honneur, mythe familial, tout ce qui passe entre un père et son fils, dans un sens comme dans l’autre. On sent aussi très vite ses limites. Incapable d’insuffler une quelconque dynamique dans le rapport père-fils, il exhibe tout son savoir-faire de faiseur (direction artistique chiadée, lumières léchées, cadres irréprochables) en guise de compensation. Pourtant, tout porte à croire qu’il veut mener une enquête morale sur un une époque mythifiée (l’Amérique des années 30), un motif de cinéma (la mafia), et sur la figure paternelle. Mais comment un film peut-il prétendre relever un tel défi quand il commence par une cérémonie d’absolution ? Toute l’innocente roublardise du réalisateur apparaît là, dans ce dédouanement préalable suivi d’une pseudo plongée dans les tréfonds ténébreux de l’âme humaine. Le procédé, en d’autres termes, relève de l’escroquerie hypocrite (cf. American beauty, déjà).
On ne saura jamais vraiment où ils mènent, ces « sentiers de la perdition », sans doute nulle part puisqu’une âme, chez cet affreux pudibond de Mendes, n’est jamais vraiment perdue. Ou plutôt vers un ennui aussi mou que les joues de Tom Hanks. Mendes n’est pas vraiment un père-la-morale, il est plutôt de bonne volonté. Mais c’est surtout un allergique à tout ce qui fait problème, effrayé par la moindre anicroche à une morale où tout est joué / sauvé d’avance. Qu’il y en est pour voir en lui le parangon de la subversion fait froid dans le dos.