Blockbuster impertinent, souvent féroce vis-à-vis de la société américaine, Les Rois du désert, comme pris de vertige devant tant d’audace, ou tout simplement incapables de contourner une figure imposée par son statut, s’encombrent inutilement d’un humanisme primaire qui altère sa force subversive, tantôt par la faute d’un pathos parfois larmoyant (la fin), tantôt du fait de digressions politiques, certes critiques, mais bien trop appuyées (la scène de torture). Cependant, en dehors de ces passages au ton affecté (malheureusement de plus en plus nombreux au fil des minutes), émerge un dispositif tentaculaire (fondé à la fois sur l’histoire, le casting et le traitement formel) qui, à travers une vision télévisuelle de la guerre du Golfe, entraîne le film sur les chemins de la dérision. Le prétexte de départ, un dynamitage des règles du film de genre, ouvre la porte à un monde d’une virtualité inquiétante : au cours de la guerre du Golfe, à partir d’un plan improbable trouvé dans le cul d’un prisonnier irakien, un vieux baroudeur incompétent entraîne trois jeunes en quête de distraction sur la piste des lingots d’or de Saddam Hussein.
Sortes de téléspectateurs de CNN visitant les images de guerre de la chaîne, les quatre soldats traversent le conflit en occultant les réalités du terrain pour se contenter de leur représentation politique immatérielle et de leurs ramifications commerciales. Panoramiques fun, objectifs en état d’ivresse, couleurs saturées, striures horizontales d’une image télé, la réalisation joue le jeu de la guerre ludique, indolore (la description par le « docteur Ross » d’une plaie infectée se transforme en gros chewing-gum coloré à l’écran). A ce traitement médiatique correspondent des comportements du même acabit. Le désert, transformé en terrain de jeu, envahi à la fois par des consommateurs et des personnages publics (G. Clooney, Ice Cube, l’ex Marky Mark), devient le support d’une émission spectacle entrecoupée de publicités. A tel point que dans une scène (une espèce de coupure pub), l’un des soldats emprisonnés se sert d’un téléphone portable pour appeler sa femme et informer l’armée de sa position. Un univers marchand qui tourne à l’ironie comique lorsque les objets se rebellent (la fermeture centralisée d’une voiture).
Dans ce vaste débat planétaire, deux potentats hors champ dotés de super-pouvoirs dirigent la manœuvre. G. Bush orchestre la mise en scène par sa puissance économique (voir l’étalage de moyens), S. Hussein résiste en terrorisant (drôlement) ses propres soldats. Un bien beau face-à-face de plateau télé en plein désert.