Après un séjour en prison, Rose, qui a perdu la garde de son fils passionné de catch, n’a qu’une seule idée en tête : renouer avec lui en devenant catcheuse. Elle embarque avec elle ses collègues de travail, caissières dans un supermarché de Roubaix, chacune devant trouver sur le ring le moyen d’une petite revanche. A la jonction de la morosité économique de The Full Monty et de la cour des miracles des Chti’s, Les Reines du ring s’inscrit dans une lignée de la comédie sociale poursuivie par des films comme Les Seigneurs ou Bowling. Il est surprenant de constater sur quel type d’arrière-fond prennent systématiquement place ses films : un amas indistinct de tétraplégiques, d’obèses, de pimbêches, de noirs et d’arabes, de freaks régionaux censés composer un retour populeux du refoulé, un visage de la France trop longtemps caché – comme un tombeau hindou s’ouvrant sur une masse de lépreux. Les Reines du ring sidère dans sa façon de prendre en charge, quasi-thérapeutiquement, ces corps monstrueux, d’en faire un motif secret et obsessionnel. Il s’y agira de faire se contorsionner sur le ring l’âme et le corps de ces monstres – soit, tour à tour : ancienne taularde, boulimique, nymphomane, ou gothique débile.
C’est à la télévision qu’il faut trouver les premières apparitions de cette déviance sympa et ordinaire, dans des émissions comme Confessions Intimes, ou encore dans la plus radicale Tellement vrai où la misère humaine et la déficience mentale s’engrangent à longueur d’émissions. De la télévision aux Reines du ring, un même diagnostic : l’un comme l’autre ne se rendront jamais capables d’accueillir la vulnérabilité qu’ils prétendent recueillir, la filmer consistera toujours à la jeter en pâture, à ne la rendre que davantage vulnérable. Cette fragilité au carré, s’il fallait la déchiffrer, consiste à faire que le corps monstrueux prenne en charge sa propre obscénité, devienne à lui-même un motif d’abjection, et non pas, comme on devrait le croire, d’autodérision. Le film ne se passe pas pour rien en grande partie dans un supermarché : du supermarché à la télévision, c’est la même lumière crue de salle de bains, soit le regard sans pupille de la télévision, soleil blanc sous lequel tout paraît immonde et démuni. Il suffit de voir le traitement infligé à Corinne Massiero (excellente actrice vue précédemment dans Louise Wimmer) qui y joue une bouchère gothique crado et demeurée dont le jeu touche au génie tant elle devient peu à peu inquiétante à force d’hystérie, finissant par s’agiter à la marge du film.
Dans les vestiaires, les poils qui dépassent du slip et des aisselles, les seins qui tombent, c’est le corps d’une femme de cinquante ans réduit à l’état de viande.La bidoche, c’est d’ailleurs le fil rouge du film, qui passe par les morceaux de viande que Masiero massacre et déchiquète pour s’échauffer, par le sort de cette caissière qui menace de se suicider pour avoir subi une vexation sur son poids, par les 120 kilos des Mexicaines à affronter, par ces plans de bourrelets scintillants dans leurs tenues en Lycra. C’est le corps Marilou Berry, ancienne grosse pas tout à fait mince, rare actrice jeune à jouer des fluctuations de son poids, comme si son corps se débattait dans un corset télévisuel de plus en plus resserré.Quelle place faire à ces corps, et quelle place accorder au corps d’une ville (Roubaix), d’une condition sociale (celle de caissière) dans ce cinéma industrialo-télévisuel prêt à être diffusé en première partie de soirée sur M6 ? La télévision c’est l’impossible topographie : d’un corps, d’un visage, d’un lieu. Il suffit de voir l’illisibilité finale du match de catch, qu’on peut clairement s’amuser à comparer à celui qui clôture le magnifique Deux filles au tapis d’Aldrich, ressorti récemment. La comparaison est grossière mais dit beaucoup sur ce qui manque au cinéma-télévision : ce montage frénétique et illisible qui le caractérise, c’est le refus catégorique d’assembler un monde, d’atteindre à cette épaisseur mondaine qui, dans le Aldrich, prend de l’ampleur dans la jovialité du folklore – ici la flamboyance des costumes de catch rejoint celle des plateaux de télévision sur-éclairés, le ring lui-même tend à devenir un plateau. Les termes se contredisent, esthétique télévisuelle et comédie sociale sont irréconciliables, puisqu’on ne peut rendre compte ni d’un pays, ni d’une société, ni d’un corps humain.M6 et W9, chaînes omniprésentes dans le film, le traversent aussi idéologiquement. Elles sont peu à peu devenues les accompagnatrices des après-midi des « ménagères », prodiguant à longueur de journées un art de vivre le désespoir tranquille : Belle toute nue, Bien chez vous, Nouveau look pour une nouvelle vie. Chaînes de la domesticité triste, de la femme démunie et complexée et dont Les Reines du ring figure le prolongement, dessinant le spectacle bigarré de leur monstruosité coupable.