La chair est triste hélas, et j’ai vu tous les films… Exhumé par Bach Films pour servir d’introduction à une formidable collection entièrement dédiée au cinéma fantastique mexicain, El Vampiro marque une date charnière dans l’histoire permanente des vampires à l’écran. Petit classique à redécouvrir d’urgence, El Vampiro (Les Proies du vampire) n’est en effet rien moins que le chaînon manquant entre le classicisme gothique des films Universal et la modernité agressive des productions Hammer ou transalpines (Freda, Bava…). Réalisé en 1957, après des années de pantalonnades post-Lugosi, et un an seulement avant la renaissance officielle du mythe sous la direction de Térence Fischer (Le Cauchemar de Dracula), l’intrigue est des plus classiques, mais certains choix de mise en scène et de belles trouvailles visuelles détonnent au milieu du je-m’en-foutisme en vigueur dans les innombrables séries Z de l’époque. Marta, une jeune fille fraîchement débarquée de la ville, retourne à la campagne auprès de ses deux tantes dans l’hacienda familiale de son enfance. Accompagnée du docteur Enrique (Abel Salazar), une mauvaise surprise l’attend à l’arrivée, en découvrant qu’en fait de maison, il ne reste que des ruines, et que sa chère tante Maria est décédée. Soi-disant folle, la vieille se croyait persécutée par un vampire, c’est du moins ce que lui raconte son autre tante, la troublante Eloisa, étonnamment bien conservée pour son âge, laquelle n’a qu’une hâte, lui présenter son nouveau voisin, un fielleux aristocrate hongrois (German Robles) qui souhaiterait acheter l’hacienda. Méfiance, méfiance, d’autant que dehors les péons s’agitent et murmurent qu’un vampire hanterait la Sierra Negra.
« N’est pas mort ce qui a jamais dort, et au long des siècles peut mourir même la mort ». Habitué des comédies, le producteur et acteur Abel Salazar tire son interprétation vers le burlesque. Bellâtre, sapé comme l’as de pique, il campe une sorte de Stewart Granger météquos (jusque dans son duel final de cape et d’épée, façon Scaramouche neurasthénique), qui fait semblant d’avoir tout compris avant tout le monde, mais roule des gros yeux blancs hallucinés dès que les paysans du cru prononcent le mot vampire. La brune héroïne, moins nichonue que dans les Hammer films, n’est pas Salma Hayek pour un sou, mais a un joli minois contrarié qui lui file les yeux doux quand même, malgré son air plouc. Quant à German Robles, il est la révélation du film. Il a suffisamment de charisme pour camper un vampire moderne, smart et distingué, rôle qu’il reprendra quasi à l’identique dans les quatre films de la série Nostradamus (réalisation de Fédérico Muriel). Issu du théâtre, le caractère un peu figé de sa composition (c’est peu dire qu’il a un pieu enfoncé dans le cul) rappelle le jeu grandiloquent de Bela Lugosi, mais sa relative fraîcheur (il n’a que 28 ans au moment du tournage et de beaux cheveux blonds minivagués), son allure athlétique un tantinet précieuse et le magnétisme froid de son regard animal préfigurent déjà la séduction perverse de Christopher Lee ou le charme homo-disco de Frank Langella. La tante Eloisa (vampire itou) est dévouée à son master et c’est tant mieux car l’aristo hongrois ne lésine pas sur les grimaces pour retrousser ses incisives. Le couple se transforme en chauve souris (les raccords sont joliment ficelés), se télétransporte à gogo, et le chant du coq et la vue d’un crucifix leur fait toujours autant d’effet. Mais le spectre décharné de la vieille tante Maria que tout le monde croyait morte, entrant et sortant à sa guise par la bibliothèque (passage secret en prime) n’est pas loin de leur voler la vedette. Le troisième âge tient bien la rampe. Elle a l’air d’y croire duraille la grand-mère blafarde qui se promène tout le long du film en portant son Christ sur la croix, car elle sait bien que « n’est pas mort ce qui a jamais dort, et au long des siècles peut mourir même la mort ».
Le baiser est un peu haut perché sur le cou, dommage… Evidemment, les scènes de morsure sont Les moments chauds du film. Surprise et folle audace pour l’époque, le comte s’avère bisexuel et vampirise même un enfant dans une scène limite pédérastique, probablement censurée vu la brutalité du montage. Plus tard, il tourne autour du lit de Marta pour choisir le meilleur angle, la meilleure position. Le baiser est un peu haut perché sur le cou, dommage, laisse deux petits trous bien nets et proprets sur la chair blanche de la jeune fille endormie, pas d’effusion de sang sur les draps, ouf, l’hymen est sauf. Le réalisateur Fernando Mendez (1908 – 1966) n’en n’était pas à son premier coup d’essai. Il avait fait ses armes à Hollywood, dès les années 30, comme maquilleur et ingénieur du son auprès du célèbre Dwain Esper, l’infâme inventeur du cinéma d’exploitation (Maniac, Narcotic, Reefer madness, etc.). De retour au Mexique, il tourne à Churubusco (le Hollywood mex), s’illustrant dans à peu prés tous les genres à la mode, du film noir, au mélodrame, en passant par le western, rien ne lui échappe, avant de donner la pleine mesure de son art en 1956 avec le mémorable Ladron de Cadaveres (Le Voleur de cadavres / Le Monstre sans visage). Ce film, savant mélange de catch et d’horreur qui voyait un savant fou dérober le corps d’un catcheur pour lui greffer un cerveau de gorille, s’impose comme le premier d’une abondante série couleurs locales centrée sur les exploits de Blue Démon ou Santo (qui pour l’anecdote faisait déjà partie du casting dans un rôle de figurant), les super héros masqués du Lucha libre.
La réalisation d’El Vampiro est soignée, quoiqu’un peu mollassonne par moment. Les dialogues ne brillent pas spécialement par leur justesse, mais la composition musicale signée Gustavo César Carrion sonne diablement juste en compensation, et Fernando Mendez fera encore mieux la fois suivante. Le succès du film, distribué jusque dans nos cinémas de quartier, appelait sans attendre une suite, El Ataud del vampiro (Le Retour du vampire), où l’on retrouve comme de juste l’intégralité du casting et de l’équipe technique initiale.
Inédit sous nos latitudes, c’est une vraie trouvaille qui vaut sacrément le détour en DVD. Changement radical de décors, Le Retour du vampire abandonne l’ambiance gothique de l’hacienda pour la grande ville, ou un comte Duval ressuscité somnambule en état de grâce dans un paysage urbain contemporain (hôpital, cabaret, musée de cire, etc.), accentuant l’aspect furieusement expressionniste du film (l’ombre du vampire poursuivant l’ombre de la danseuse dans les rues désertes, façon M le Maudit). Visuellement plus réussis, Mendez s’autorisent même quelques effets de pure terreur (du bon usage de la Vierge de fer). Duval n’a pas perdu son goût pour les petits enfants, mais les scènes de music-hall apportent leur lot de girls, avec bonus de cuisses et de popotins les bienvenus. Le film perd en fidélité au mythe ce qu’il gagne en originalité, un ton bien à lui où l’épouvante le dispute au slapstick. Abel Salazar, toujours particulièrement à l’aise dans son rôle de docteur séducteur gaffeur, culmine dans une scène d’explications tarabiscotées pour justifier auprès de la direction de l’hôpital et de la police, la disparition d’un cadavre, qui s’est enfui, parce qu’il n’était pas vraiment mort, vu qu’il s’agissait d’un vampire ! CQFD. Savoureux et tordant. Le rythme est aussi plus soutenu. L’action ne faiblit pas jusque dans son improbable climax où après nous avoir démontrer ses qualités d’escrimeur, le bon docteur nous cloue définitivement le bec au lancé de javelot. Chapeau.
« Seuls quelques films « d’horreur » se sont approchés de très loin de ce qui devra un jour s’imposer comme le seul cinéma fantastique valable. Notamment Les proies du vampires de Fernandez Mendez (…) » Jean Rollin : Midi-Minuit Fantastique #24.