Bref, concentré sur son efficacité, le premier film de Frédéric Balekdjian marche sur un fil tendu entre deux genres, l’un grand, l’autre tout petit. L’un : Scorcese évidemment, à quoi le film ne cesse de renvoyer. Fratrie de truands, trajectoire after hours d’un héros mélancolique, tension de la rue, sueur des mauvais coups qui tournent mal et même, cadeau bonus, un Joe Pesci from Paris, en la personne de Isaac Sharry. L’autre : la comédie de communauté, le Thomas-Gilou-movie. Folklore des magouilles, affrontement de tribus (ici Chinois et Arméniens), immersion dans un quartier parisien (le Sentier), où se démêlent en direct mille petits codes. Le mix accouche de ce récit : Vahé Krikorian prend sous son aile un jeune clandestin chinois qui refuse de travailler pour le réseau qui l’a fait passer en France, et le défend autant contre ses créditeurs que face à son propre clan.
Cela, cette promesse de concorde entre l’extrêmement nerveux et l’extrêmement ringard est la qualité du film, son problème aussi. A la fois modeste dans son exécution et ambitieux par la place qu’il cherche à occuper, Les Mauvais joueurs est en fausse tension permanente. Chaque scène hésite entre museler le pittoresque et en faire le moteur de l’action. Chaque comédien, entre l’aisance spontanée et le jeu codifié. Hésitation générale à assumer le lourd bagage, le genre, la tradition, mais sans en avoir l’air.. Crainte de sembler ne pas y croire, ou trop y croire. Et l’air de rien n’est pas l’atmosphère requise pour une pareille entreprise. Tentative à moitié réussie, à moitié ratée, on voudrait quand même faire aux Mauvais joueurs ce cadeau-là : dire que dans l’impossible et secrètement essentiel dialogue entre le cinéma français d’aujourd’hui et le cinéma américain des années 70, Balekdjian s’en tire mieux que Desplechin, bien qu’il n’ait pas son talent naturel de filmeur. L’appel américain agite profondément l’un comme l’autre, mais chez Desplechin il ne renvoie qu’à un cinéma pétri de mauvaise conscience bourgeois quand, ici, on n’a affaire qu’à un petit film de genre, efficace, honnête. C’est peu, mais parfois amplement suffisant. Il y a d’ailleurs, vers la fin du film, une longue et formidable scène de poursuite à pied dans le métro, à bout de souffle.