Dans L’Endroit idéal, son premier court métrage, Brigitte Sy (connue des cinéphiles pour avoir été une des muses de Garrel) opérait la rencontre amoureuse entre une jeune réalisatrice venue tourner un film en prison et un des taulards improvisés acteurs pour les besoins du film. Le but semble, avec le format long des Mains libres, d’offrir une hyperbole à ce concept un peu expérimental de mise en abyme de la théâtralité des rencontres et de l’isolement de ses modèles. La vie, le cinéma, la porosité des frontières entre les deux métaphorisée par le couple improbable et impossible : voilà un slogan qui sent bon la réflexivité casse-gueule.
Force est de constater que le péril du méta et ses saillies à bride abattue dans la fiction ne semblent qu’à moitié esquivés. Certes, le problème ne se situe pas dans le voeu de reproduire la fameuse « rampe » de Serge Daney (l’écran troué où se mêle réalité et imaginaire) au sein d’une bulle carcérale. Comme ivre de sa (bonne) note d’intention, le film s’entête ardemment à aligner défilés de références aux pères (Truffaut, mais surtout Garrel que l’on cite sans ménage). Pire : le tournis de l’allégeance gagne même une réalisation qui multiplie bon nombres d’über-signes (à ce compte, autant parler de signaux) de mise en scène. A force de générosité dans ses surcadrages et autres déclamations regard-caméra, l’élan de sincérité se voit plombé par la pose. Faut-il pour autant réduire l’ensemble à une revisite de la Nuit américaine, version zonzon ? Sans doute pas.
A mi-parcours, le film trouve son identité lorsqu’il s’éloigne du fatras réflexif. Au lieu de démissionner, l’ambition se contente de recadrer ses atouts : l’art du badinage semble faire mouche, à savoir jouer du désir ingénu à l’écran entre deux personnages antinomiques. Là repose finalement tout le poids critique d’un casting cohérent. Brigitte Sy a eu la précieuse idée de conserver les mêmes interprètes que pour L’Endroit idéal. Une évidence : Ronit Ekabetz ne réserve plus grande surprise quant à sa grâce atone aux yeux de couguar. Une révélation : Carlos Brandt, dont le talent (déjà bien rodé au théâtre) semble extensible à la durée allongée du canevas de la cinéaste. Jouant d’une dualité constante entre usure d’un corps balourd (rappelant le meilleur de Depardieu) et sensibilité d’éphèbe à la Garrel (fils), l’acteur s’accapare tous les plans, malgré les entraves habilement imposées par la cinéaste. L’émoi venu d’un monolithe comme salut d’un film : paradoxe, certes, mais qui fait rapidement taire une déception première.