Depuis le flop de Small soldiers, on croyait Joe Dante parti à la retraite, aigri et résigné à jamais vis-à-vis des studios. Le projet Looney tunes est donc une surprise car il permet à Dante de revenir sur le devant de la scène, aux commandes d’un film techniquement ambitieux et commercialement porteur : un Roger Rabbit habité par les célèbres tunes de la Warner (Bugs Bunny, Daffy Duck, Elmer, Porky Pig et cie). Le résultat, il faut l’avouer, est aux antipodes de ce qu’on aurait pu attendre. Non seulement le film est très kitsch, mais il répond surtout très peu à la charte du traditionnel blockbuster de fêtes de fin d’année. Ceci annonce au moins deux choses. D’une part, Looney tunes sera probablement un échec au box office ; d’autre part, et c’est plutôt rassurant, Dante n’a rien changé à sa façon de faire : tout casser pour la seule beauté du geste.
L’intrigue des Looney tunes passent à l’action tient en de nombreux fils qui n’ont que peu à voir les uns avec les autres. La première scène, prometteuse, se déroule dans les studios Warner (Daffy est viré comme un vulgaire has-been) et laisse espérer une satire du fonctionnement des studios. Très vite pourtant, on passe à tout autre chose : Daffy se retrouve en compagnie de Bugs Bunny et d’un couple d’humains (Brendan Fraser / Jenna Elfman) à la recherche d’un diamant maléfique capable de transformer le monde en royaume des singes, entre Paris, le Colorado et l’Afrique. A leurs trousses, l’affreux Chairman (Steve Martin), patron de la corporation ACME, et sa troupe de méchants qui veulent la pierre pour détruire l’humanité. Il faut voir dans ce récit d’aventures un prétexte sans intérêt : les séquences s’enchaînent au rythme des apparitions nombreuses (d’Elmer au Coyote, de Porky Pig à Taz), seules importent la foule des gags et la folie des rencontres.
De la même façon, le film est techniquement à mille lieues du perfectionnisme d’un Roger Rabbit : incrustations sales, couleurs vives, mauvais goût d’ensemble (la scène finale mêlant toons et images de synthèse dans l’espace), interprétation carnavalesque des acteurs humains, etc. Tout cela ressemble à une mascarade roussie et saturée, où les personnages de dessin animé, peu à peu, prennent le contrôle de tous les plans. S’y ajoute une violence assez sèche (Daffy décapité quelques instants, la queue de Sylvestre le chat coupée au sécateur) plus proche d’un Bill Plympton que de la charte du cartoon Warner. On peut voir dans ce Looney tunes un joyeux bâclage, une explosion de la commande, prise par-dessus la jambe, poussée à son point de rupture, mais aussi cela : l’amer Joe Dante a toujours de l’énergie, fut-elle cabossée par les échecs successifs et desséchée par l’aigreur, à revendre. On reste preneurs.