Un papy engagé se marie avec une bombe moldave pour qu’elle obtienne papiers et confort moderne. Apprenant la nouvelle, ses deux enfants (Viard et Luchini) accusent le coup, doutant de la sincérité de la fille comme de la pureté de l’altruisme paternel. A révéler les limites de l’humanisme bourgeois en plongeant une poignée de sujets dans une fable acide, Les Invités de mon père paraît limpide dans ses intentions : mi Zemmouriennes pour sa dimension brocardière, mi Chatiliez pour son côté comédie à l’italienne truculente (Luchini, idéal dans un rôle d’avocat cynique à la Clavier). Un repas de famille qui tourne à l’aigre, bouffé par la mesquinerie et la condescendance bourgeoise (avec persiflage en cuisine), et hop, on s’attend à une lutte des classes dans les règles de l’art.
Pourtant le film renonce à jouer les arbitres, bizarrement plus empathique envers ses personnages qu’on ne l’aurait cru. Enfin, pas tous. La cinéaste prend surtout faits et causes pour Luchini et Karin Viard, frères et sœurs que tout opposait jusqu’alors (elle bobo, lui nouveau riche) dont la complicité naissante prend le film d’assaut. La critique sociale rétrécit comme peau de chagrin, pur alibi pour introspections bourgeoises. On crève ses abcès dans les restos chics, on s’encanaille tristement (Luchini annule ses rendez vous et hurle sur ses enfants, Karin Viard trompe son mec). Du coup, l’étrangère ne trouve jamais sa place dans le récit, chassée comme un mauvais parasite, suscitant dans le meilleur des cas une culpabilité basique, éprouvée tous les jours dans le métro (« moi besoin héritage, moi élever mon enfant »). Face à elle, le film se montre légèrement piteux, bêtement incapable de la moindre empathie, ni même d’une considération réelle condamné à lui porter un regard de dame patronnesse (Viard) ou de jouer au délateur (la femme de Luchini).
De quoi considérer Les Invités de mon père comme le cauchemar absolu des bobos, tant il conduit l’humanitaire vers une voie de garage, soit mirage pour djeun’s (la fille de Luchini) soit instrument pervers pour vieux cochons ; impasse menant naturellement au repli sur soi absolu. Il faut voir comment le personnage de Luchini, avocat consommateur de bling-bling, s’impose comme le grand vainqueur idéologique du film (pas une concession jusqu’au générique), reprenant un slogan de réal-politik repris en boucle par l’UMP (« La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde »). C’est sans doute là que se niche la réelle subversion des Invités de mon père, auscultation sous-marine d’une bourgeoisie qui préfère se lover dans le scrupule plutôt que de renoncer à ses privilèges. Cette volonté de tomber les masques ne manque pas de panache. Hélas, trop sensible aux tourments de ses chers enfants gâtés (le duo de stars, archi sympa), Anne Le Ny semble comme prise au piège, conquise à chaque plan, à la manière de ces agents doubles qui finissent par rouler pour le camp qu’ils étaient censés espionner.