Attendu, le passage au long-métrage de Thierry Jousse, ancien critique et réalisateur de quelques courts remarqués (Nom de code : Sacha, Julia et les hommes). Musicien, Bruno (Laurent Lucas) compose des morceaux d’electro où s’intègrent les sons qu’il capte dans la vie de tous les jours. Bruitages ordinaires, intimes, érotiques s’y plaquent en boucles obsédantes. L’obsession est, après la musique, le grand sujet des Invisibles, Bruno faisant la connaissance par réseau téléphonique d’une mystérieuse femme qu’il possédera plusieurs fois dans l’obscurité d’une chambre d’hôtel. Sitôt évanouie, Bruno n’a plus qu’elle en tête, vendange une occasion merveilleuse de contrat, s’entête, se coupe du monde, part à sa recherche.
Si Les Invisibles déçoit, c’est pour des raisons qui s’éloignent radicalement du tout-venant des premiers films. Il y a là un étrange déséquilibre entre modestie et intelligence (c’est souvent l’inverse ailleurs : prétention et bêtise), quelque chose qui tape juste aux moments les plus difficiles, disons les plus dangereusement clichés (toute la mise en scène de la chambre d’hôtel où se retrouvent les amants) et rate la cible dans les séquences les plus anodines. Prenez les scènes de travail dans l’appartement (Laurent Lucas possédé), d’enregistrement en studio : elles pourraient, devraient être la matière vive du film et n’en sont que l’habillage un peu terne, un peu étriqué, en un entre-deux indécidable de modestie et de fadeur esthétique. D’où une neutralité parfois proche de l’indigence: manque d’aplomb dans les cadrages, tranquillité molle du découpage.
Le mouvement du film, si ouvertement humble, si visiblement discret, empêche toute fulgurance, raidissant l’ensemble dans une sorte d’ordonnancement froid : hommage timide à Lynch (le brouillage par les sons, une séquence nocturne à l’onirisme desséché), recours à de purs artifices (tout ce qui tourne autour du personnage incarné par Lonsdale). Tout ce qui devrait rester en arrière-fond prend peu à peu le contrôle du récit, et le film se laisse porter bon gré mal gré vers un finale arrangeant. C’est aussi la qualité des Invisibles, une façon de ne rien forcer, de flotter en toute innocence dans sa petite heure vingt-cinq. Reste la beauté admirable des scènes d’intimité (dans l’obscurité de la chambre d’hôtel), qui renvoie au meilleur des précédents films de Jousse : seuls instants, trop rares, où éclate un vrai talent de cinéaste.