Le plus beau film de Cannes 2009 ? Possible, tant ces Herbes folles brillent d’une fraîcheur et d’une intensité hors du commun. Il suffit de songer au cauchemar d’ennui à vous filer une sciatique proposé par un autre papy cannois (Haneke l’affreux et son putride Ruban blanc) pour mesurer combien nous importe ce nouveau Resnais.
Le pitch ? Adapté d’un roman de Christian Gailly (L’Incident), il est incontrôlable : une banale histoire de portefeuille volé qui déclenche une suite de réactions en chaîne, soit une banale intrigue de comédie dramatique à la Française qui se couvre, par la grâce des inventions et de la fantaisie de Resnais, d’une poudre fine onirique à nulle autre pareille. La chimie amoureuse (Azéma / Dussolier) et le style si haut perché du cinéaste, qui travaille ses décors naturels à la manière d’un petit théâtre maboul et multicolore, ouvrent des portes débouchant par intermittences sur l’enchantement le plus pur ou la mélancolie la plus glacée, à mi-chemin de la fluidité en roue libre d’On connaît la chanson et de la beauté livide et déchirante de Coeurs. Le terrain de jeu des Herbes folles est indéfinissable, troué par une infinité d’espace-temps étreignant le récit ou faisant résonner les scènes à la manière d’une suite d’affects et d’émotions rendus à leur plus simple expression. L’ensemble, volontiers brinquebalant, presque sauvage (les herbes folles du titre) tient grâce au personnage ahurissant de Georges Palet, porté par un Dussollier prodigieux, dont la voix-off s’offre en ligne claire pour le récit tout en provoquant une série de glissements de terrain – coupures, sautes de ton, bondissements. Son passé trouble, pur bloc de néant, s’offre comme un écran aveugle pour le spectateur (il faut voir comme l’écran se glace lorsque, de sa voix intérieure, Palet se demande comme si de rien n’était s’il ne devrait pas « faire leur fête » à deux jeunes filles qui passent de manière un peu bruyante). Enroulé autour de ce personnage vertigineux, le film tisse une natte d’états contradictoires, de la fable morbide au conte amoureux (sublime scène de la sortie du cinéma), de la clarté la plus blanche à la cruauté la plus noire.
On savait Resnais toujours au sommet, mais Les Herbes folles, par leur fougue jazzy autant que cette lueur désenchantée qui semble toujours sur le point de percer le voile irréel des plans, dépassent tout ce qu’on pouvait attendre du réalisateur de Providence. Pendant qu’Haneke marine dans son jus, il faut évidemment se précipiter sur cette pépite.