Pendant toute sa carrière, Agnès Varda n’a eu de cesse d’alterner films de fiction (Cléo de 5 à 7 en1962, Sans toit ni loi en 1985) et incursions dans le documentaire (Murs, murs en 1980, Jacquot de Nantes en 1990), tout en mariant parfois subtilement les deux. L’ensemble de son cinéma porte ainsi la trace de ce regard toujours attentif au monde qui l’entoure. Les Glaneurs et la glaneuse ne dérogent pas à la règle et s’avèrent au final un subtil bilan de notre époque. Tout commence à partir d’un thème anecdotique : le glanage.
Qu’est-ce que glaner ? que glane-t-on ? qui le pratique ? sont les interrogations qui ont servi de point de départ à ce très beau documentaire. Filmés en DV (quel meilleur instrument pour la « picoreuse » de réalité que cette maniable petite caméra ?), Les Glaneurs et la glaneuse sont l’occasion pour la cinéaste de parcourir la France à la recherche d’histoires, de destins, et de visages. On part ainsi du célèbre tableau de Millet, Les Glaneuses, et de la campagne pour aborder l’univers urbain et les « visiteurs » de poubelles. Chaque arrêt de cette promenade est l’occasion d’évoquer un fait d’actualité (le gaspillage agricole, la misère en ville, etc.) sans toutefois s’appesantir. Le film d’Agnès Varda est à mille lieues de l’exposé didactique. Il s’agit avant tout d’écouter ce que les gens ont à dire, sans forcer les conclusions faciles. Si la cinéaste possède un vrai talent pour pointer du doigt les contradictions de notre société, la forme du film s’apparente, quant à elle, à un certain nomadisme visuel. Il souffle un agréable air de liberté sur Les Glaneurs et la glaneuse en grande partie dû à l’esprit d’indépendance qui anime son auteur. Cinéaste citoyenne, Agnès Varda n’en est pas moins une fine esthète qui sait capter et s’attarder sur les plus discrètes beautés de notre environnement, comme le violet éclatant des pousses de pommes de terre en germe, ou le brun uniforme d’un champ en friche. Parfois, le propos se fait plus intime, avec des pointes autobiographiques sur « la glaneuse à la caméra », Varda elle-même, qui scrute courageusement en gros plan ses mains abîmées par la vieillesse.
Mine de rien, Les Glaneurs et la glaneuse nous offrent un précieux portrait de la France à l’orée du nouveau millénaire. Il fallait bien toute la sensibilité d’une Agnès Varda pour le composer…