Précédé d’une réputation d’oeuvre très mineure dans la carrière d’Hong Sangsoo, Les Femmes de mes amis est, à cet aune, une agréable surprise. Agréable n’est d’ailleurs pas tellement le mot, tant le film trimballe quelque chose de grinçant, une cruauté que masque à peine la violence des situations et la violence sourde des rapports humains. Le héros de ces Femmes de mes amis est un cinéaste, double avéré de Hong Sangsoo, qui à l’occasion d’invitations diverses (festival, université) fait des rencontres qui l’amèneront à coucher avec les femmes respectives de deux connaissances, à confronter son propre ego à ceux d’autres artistes, vivre des petites humiliations quotidiennes contre sa personne et éprouver ses propres petites lâchetés journalières. C’est peu dire que le portrait de l’artiste n’est pas toujours flatteur. Pourtant le film n’est jamais sinistre ou snob, et représente de ce point de vue un parfait antidote à Mariage à trois de Doillon, qui se situait lui aussi à la jonction du statut d’artiste et des rapports amoureux.
Comme chez Rohmer, le cinéaste filme des êtres, le héros particulièrement, dont la capacité à s’illusionner sur leurs propres désirs fausse d’emblée les rapports sociaux, crée un écheveau de comportements inconscients et cruels. Mais c’est en même temps ce qui donne cette dimension de surprise au réel, la conclusion vers laquelle les événements s’acheminent n’étant jamais tout à fait celle a laquelle on pouvait s’attendre. Ici une jeune admiratrice peut se muer soudain en monstre critique, et c’est précisément ce petit jeu de l’inconscient (sans que jamais celui-ci ne soit nommé) qui génère des comportements et des situations incongrues, parfois malaisantes, d’autres fois cocasses. Surtout, Hong Sangsoo sait toujours comment mettre en scène le narcissisme enfantin de son héros, éternel célibataire qui par simple jalousie mimétique croit tomber amoureux de la femme des autres. Il faut voir par exemple, la façon dont il joue sans cesse d’une éviction progressive du personnage aux bords de l’image, perdant ainsi sa place centrale dans le cadre (et portant un coup à une certaine vanité du personnage) ou encore recadrant soudainement, zoomant parfois, comme pour insister sur un mot précis, donner une indication au spectateur que les mots ne disent pas.
De la même façon, il ne faut pas se laisser avoir par l’apparente neutralité de l’image, qui accentue une certaine médiocrité des rapports. Tout dans le film est extrêmement pensé, sans pour autant jamais corseter le film dans une virtuosité strictement mécanique. Malgré la satire, il y a beaucoup d’amour et de compréhension pour les faiblesses humaines dans ce cinéma. Jamais le cinéaste ne se pose en petit juge de ses contemporains, simplement, comme son maître Rohmer, il n’est pas dupe, ni sur les autres ni sur lui-même. Les Femmes de mes amis est le film d’un cinéaste dans la parfaite maîtrise de ses moyens, suffisamment sûr de lui pour jouer sa partition l’air de ne pas y toucher, sans effets de manche, discrètement acide sans jamais manquer d’humanité.