Si le cinéma fantastique espagnol est l’un des plus énergiques qui soient depuis plusieurs années, la menace d’une certaine complaisance vis-à-vis de certains sujets commence à lui plomber sérieusement les ailes. Les Enfants d’Abraham, comme tant d’autres avant lui, est une lourde fable ésotérique dans laquelle sectes sataniques et sacrifices d’enfants, dislocation familiale et paranoïa gnangnan font office de passeport pour l’angoisse. C’est à la fois le signe d’une réelle cohérence (des thèmes récurrents et personnels, ce qui manque précisément au cinéma de genre français, sans racines ni repères) et d’un certain systématisme : à la longue, tout film fantastique espagnol pourrait rebuter, tant il ressemble au précédent dans une sorte de communauté anonyme et dévitalisée.
Pour autant, comme là aussi beaucoup d’autres avant lui (Darkness de Balaguero récemment), le film de Paco Plaza témoigne d’une redoutable efficacité technique : une scène d’ouverture de toute beauté, un sens du cadre constant, un rythme surtout tenu de bout en bout. Mais aussi, revers de la médaille, une tendance à la virtuosité de surface qui, très vite, sombre dans un pompiérisme assez navrant. On peut apprécier ce cinéma sans ironie, parfaitement dans les règles et sur les rails du genre, d’une rigueur souvent stupéfiante, et en même temps déplorer son manque d’originalité, d’engagement et de fantaisie. Tout le paradoxe de la plupart des réalisateurs d’épouvante ibériques récents se trouve concentré ici : l’impression de voir à l’œuvre un sympathique artisan, ou bon petit faiseur, tout en se rendant compte, très vite, que lui est persuadé, dans un esprit de sérieux à toute épreuve, de refaire en mieux L’Emprise des ténèbres de Wes Craven ou Rosemary’s baby de Polanski.
Lorsque sur la longueur, le film s’enlise dans la grandiloquence, que son appétit pour le glauque dépasse de loin un vrai goût pour l’artifice et l’effet spécial (la chambre de l’héroïne tapissée d’insectes et de bocaux de formol bien réels), toute la sympathie dégagée par le début se dissipe. En continuant sur cette voie, la santé du fantastique espagnol pourrait bien sous peu n’être plus qu’un lieu commun évidé de toute réalité.