Passée son expérience de documentariste (notamment quelques reportages signés pour l’excellent magazine belge Strip-tease), Benoît Mariage dresse dans son premier long métrage de fiction le portrait d’une banlieue de Namur, Charleroi. Enième pamphlet « socio-réalistico-misérabiliste » ? Non. Car si le cinéma de Mariage (qui fut photographe) préfère s’aventurer du côté de chez Doisneau plutôt qu’en territoire Loachien, c’est pour mieux transcender la morne réalité de son histoire.
Cadres à la composition savante, noir et blanc lisse et contrasté, Mariage n’hésite pas à immerger ses personnages dans un formalisme sophistiqué. Très vite son récit en souffre, car chaque situation, aussi forte soit-elle, se fige et se désincarne sous les coups d’un réalisme poétique forcé (on frôle parfois le surréalisme). Pourtant, passée la première demi-heure, et alors qu’on ne l’attendait plus, l’émotion surgit comme par magie. Car c’était sans compter sur ses acteurs emplis d’une formidable énergie. Et parmi eux, Benoît Poelvoorde, en père castrateur et borné, qui donne une interprétation émouvante, dépassant le cadre habituel de comique beauf dans lequel il était cantonné.
Les personnages finissent par se trouver en accord avec la beauté des images. Ils ne sont plus portés par le film, ils le portent en lui injectant cette dose d’humanité nécessaire au traitement d’un tel sujet. Mariage a aussi la bonne idée de resserrer une intrigue, au début trop flottante, autour d’une singulière histoire de record du monde d’ouverture de porte. Celle-ci donne lieu à une scène d’anthologie, entre rires, larmes et cruauté, qui constitue l’un des sommets du film.
Dans une époque de crise où tout éclat formel face à la misère sociale apparaît comme scandaleux, Les Convoyeurs attendent fait presque acte de provocation. Il s’agit aussi d’un film attachant, souvent beau, et qui atteint son but initial : la poésie. Benoît Mariage a été à la hauteur de ses ambitions. Qui peut lui en vouloir ?