Réalisées par trois des cinéastes les plus connus d’Iran (Makhmalbaf, Jalili et Taghvaï), les histoires qui composent Les Contes de Kish traduisent chacune le style personnel de leur auteur. Une cartographie idéale du cinéma iranien, en somme, si toutefois Kiarostami ne manquait à l’appel. Cependant, l’aboutissement de ce projet prometteur (chaque cinéaste doit inventer une histoire qui ait pour contexte l’île de Kish) nous déçoit en partie, tant les réalisateurs semblent ne pas livrer ici le meilleur d’eux-mêmes.
Le premier sketch, intitulé « Le Bateau grec », et réalisé par Nasser Taghvaï, prend comme point de départ les cartons de marchandise ramenés par la mer et l’effet étrange qu’ils produisent sur la femme d’un boutiquier qui travaille sur le rivage de l’île. Ces cartons aux effigies publicitaires des plus grandes marques internationales constituent la métaphore d’un mal qui ronge l’Iran (mais pas seulement ce pays) : le capitalisme à tout va et son effet pervers sur des traditions millénaires. Si Taghvaï apporte un soin minutieux à la composition de ses plans -les couleurs des cartons forment des compositions qui rappellent le pop’art-, force est de constater que sa structure narrative souffre d’un traitement trop abrupt qui laisse peu de place au sensible.
Dans un registre très différent, Abolfazl Jalili raconte dans « La Bague » l’existence précaire d’un étudiant fauché qui entre clandestinement sur l’île pour trouver du travail. Fidèle à son thème de prédilection -l’enfermement psychologique d’un être confronté à une situation qui le sépare du monde-, le cinéaste reprend la démarche documentaire déjà présente dans Don, sorti récemment. La caméra suit ainsi le jeune homme dans ses moindres mouvements pour faire corps avec lui et renforcer de ce fait le terrible sentiment de solitude qui émane de sa position de reclus. Cependant, le parti pris de réalisme adopté par le cinéaste ne parvient pas à égaler en poésie l’extraordinaire conciliation entre fiction et réalité à l’œuvre dans Danse de la poussière, son œuvre la plus radicale à ce jour.
Le conte composé par Mohsen Makhmalbaf se détache justement du lot par son radicalisme esthétique. Sans nul doute le plus beau plastiquement, « La Porte » se caractérise par l’extrême épure de ses motifs, réduits à quelques silhouettes et à la ligne de démarcation entre le jaune du désert et le bleu du ciel. L’histoire n’est pas plus consistante : un homme marche en compagnie de sa fille et porte sur son dos le dernier bien qui lui reste, une porte. Sur ce dispositif de départ viennent se greffer des situations insolites d’une très grande poésie : un facteur lit à l’homme une lettre d’amour destinée à sa fille, une bande de musiciens demande son chemin. L’intervention impromptue de ces micro-événements crée un climat de puissant onirisme où tout prend valeur de symbole. « La Porte » peut alors se concevoir comme l’acte de résistance d’un vieil homme qui choisit de se retirer du monde avec sa fille plutôt que de continuer à le subir ; à l’image du superbe plan final dans lequel les deux personnages disparaissent sous la porte qui leur sert d’abri contre le soleil, contre le reste…
Au final, Les Contes de Kish se révèlent être un film frustrants. Simple confirmation sans surprise pour les auteurs des deux premières histoires, il nous fait davantage regretter la trop courte durée de celle narrée par Makhmalbaf, qui réussit le mieux à se servir des contraintes de cette composition à plusieurs mains.