Post-ados, fin du monde et balades en forêt : à première vue, Les Combattants s’inscrit dans une certaine tendance du jeune cinéma français lorgnant sur Hollywood, ses genres et ses grands espaces. Le premier tiers annonce une screwball comedy dégénérée, drôle et habilement rythmée. Dans une Aquitaine pavillonnaire et mollasse, Arnaud, jeune menuisier de son état, s’entiche de la fille qui l’a rossé à la plage : Madeleine (Adèle Haenel), jolie garçonne de glace qui nage le crawl en tractant des briques. Celle-ci l’entraîne dans ses marottes martiales, jusque dans un laborieux stage d’initiation chez les paras. Occasion de croquer une jeunesse penaude et sans perspectives, chez qui les stéréotypes de genre se sont inversés – les filles mènent le jeu face aux jeunes loups timorés. De quoi craindre une superposition de références (Apatow + Amblin + Judith Butler, pour aller vite) qui sont autant de tartes à la crème de mise chez les auteurs en herbe en mal d’exotisme.
Mais l’addition va au-delà du simple mixte d’influences. Si le film, comme Madeleine, ne parvient pas à rester en place et se cherche un peu partout, éparpillé dans les recoins les plus farfelus, c’est que le fantasme d’un ailleurs hante les personnages. Les Combattants est clairement la chronique d’un désir détraqué chez une jeunesse en mal d’absolu, stagnant la tête sous l’eau et les pieds dans le vide. Devant ce sujet éminemment contemporain (le fardeau d’arriver « après », de s’engluer dans le nihilisme ambiant), comment dépasser le naturalisme à la sauvette ? Là où d’autres s’enliseraient dans une allégorie pontifiante ou dans une France réaliste de sondeur IFOP, Thomas Cailley, dont c’est le premier long (cf. notre interview dans Chro # 8, en kiosques, ainsi que l’entretien fleuve avec Adèle Haenel), prend le parti de la fiction, et embrasse littéralement l’errance spirituelle de ses tourtereaux. La quête ne sera pas métaphorique mais spatiale, le combat promis aura bien lieu en pleines Landes broussailleuses, et jusque dans une zone enchantée où Cailley, s’autorisant une douce parenthèse panthéiste, dérive à pas feutrés vers un film mental.
C’est effectivement par sauts de puces anodins (le couple intègre son unité junior puis déserte suite à des broutilles) que le récit passe d’un horizon à l’autre, et décapsule chaque monde désiré par nos héros. Ce qui pourrait passer pour de l’indécision (chronique ? bluette ? conte sylvestre ?) relève au contraire d’une ambition ferme : fureter à travers des « monades » parfaitement imbriquées, et portées par une mise en scène souple, volontiers transformiste. La comédie appliquée mue ainsi en épopée burlesque puis en conte à la Perrault, quand les déserteurs laissent libre cours à leur passion survivaliste sur un ilot boisé. Cette embardée vers le mythe ouvre un monde fonctionnant sur le mode de la robinsonnade : isolés et revenus aux origines, Arnaud et Madeleine réechantent le réel pour enfin consommer leur romance – comme s’ils avaient attendu de trouver une terre vierge et fertile.
Mais le plus beau reste la façon de prendre au sérieux ce braconnage dans le vide, cette lutte en forme de vaste jeu de rôle. Tout comme Madeleine s’échauffe le corps et l’esprit en vue d’un cataclysme improbable, Les Combattants ne cesse de guetter l’apocalypse. Malgré sa part nettement comique, le film abolit peu à peu toute distance avec la fureur belliqueuse des amants, croyant dur comme fer à l’imminence d’un danger invisible, impalpable – celui, sans doute, de basculer dans le gouffre nihiliste. Manière de contourner l’obséquieux portrait générationnel, mais aussi de proposer une définition neuve de l’aventure (pas si éloignée de celle qu’ont imposé, récemment, le cinéma belge ou québécois) : celle-ci ne se contente plus de transcender le réel, mais réactive un futur auparavant opaque, que les jeunes guerriers peuvent enfin contempler du haut de leur mirador perdu dans la plaine.