Dans le cinéma iranien qui a ses têtes d’affiche et dont le paysage sera mieux connu par ceux qui fréquenteront le forum des images jusqu’au 21 octobre, Bahman Ghobadi fait encore figure de révélation. Entre Abbas Kiarostami, le patron -quoi de neuf dans le cinéma mondial depuis Ten ?- et la famille Makhmalbaf (père et fille), Ghobadi fait sa place, proposant un film à mi-chemin entre l’intelligence esthétique et politique du premier, ombre écrasante (il fut son assistant) et les messages citoyens des seconds, plus à sa portée, même si le cinéaste se repaît moins d’allégorie et de métaphores pénibles.
Les Chants du pays de ma mère commencent au Kurdistan iranien dans la joie d’un convoi à la Kusturica, insolite et folklorique, réunissant dans une hystérie chaotique, un groupe humain bigarré : famille avec femmes et enfants, pillards en retraite provisoire, marchand malhonnête. Au milieu d’eux, et sur un side-car tiré par la charrette bordélique, un moustachu à lunettes noires, chanteur de son état et vedette célèbre qui part visiter son père, lui-aussi star musicale, retiré dans un petit village pour donner des cours de chant. C’est le devenir de ce duo filial que raconte le film, bientôt trio, puisque le deuxième fils, lui-aussi musicien va se joindre à eux. On l’aura compris, le film est un retour aux sources de l’identité kurde, la musique au premier plan, les sons des instruments traditionnels, la voix qui chante selon les codes enseignés par le père, accompagnant le voyage du trio qui choisit le side-car pour avancer et rejoindre l’ex-femme qui appelle au secours depuis l’autre pays kurde : en Irak. L’action est située au moment où Saddam Hussein attaque les Kurdes à l’arme chimique, assassinant et poussant des centaines d’entre eux à quitter la région. Si le road-movie progresse d’abord dans l’ambiance bruyante et désordonnée fixée au début du film -concert improvisé dans les villages traversés, querelles de famille, etc.- plusieurs événements viennent noircir cette joie : les pillards reprennent du service au bout de la piste, détroussant les stars de la chanson qui poursuivent leur route à poil et à pied avant d’arriver dans un camp de réfugiés. C’est à ce moment tragique que le film trouve son ton et sa valeur : alors que les personnages étaient restés jusqu’ici croqués en caricatures dans un registre pittoresque redondant et sans surprises, le cinéaste choisit un parti-pris plus sobre pour filmer la découverte par le père et le fils d’un avant-poste dramatique qui annonce le sort de l’épouse recherchée. Le père décide de poursuivre seul le chemin, traversant la frontière pour parvenir au Kurdistan irakien meurtri par Saddam.
Ghobadi filme ce choc des deux cultures d’un même peuple avec une belle force documentaire, laissant venir à l’image ce qu’il avait tendance à surligner dans la première partie du film : la mise en scène devient plus souple, moins anecdotique. La rencontre entre le père et son ex-femme ne peut avoir lieu. Sans qu’il le sache, elle la refuse parce que sa voix a été cassée par les gaz et son visage défiguré. Il ne lui reste plus qu’à porter son enfant sur son dos et à l’emmener loin de l’horreur pour lui apprendre le chant.