Dans les années 60 Madeleine, courtisane parisienne plaque tout pour Jaromil, médecin tchécoslovaque aussi volage que l’est sa dulcinée. Quarante ans après, leur fille Véra respecte théoriquement le schéma parental, prête à tout plaquer pour un homme qui, homo, ne l’aime que platoniquement. Voilà pour le pitch du grand mélo de Christophe Honoré, fresque familiale qui malgré ses nombreuses escales aux quatre coins de la planète (Montréal, Londres, Prague) et une bande-son popisante, se revendique haut et fort du terroir. Haut et fort, cela n’a rien d’une formule : sur ses ancrages, ses références, sa façon de faire à la manière de, Les Bien aimés est pour le moins assourdissant. Voilà un film bardé de plans griffés, bourré de coucous et de clin d’oeils au cinéphile-fayot : avant l’amour, Madeleine jeune laisse échapper un « attends ! » truffaldien à son partenaire, la camera s’attarde sur une jambe gainée d’un bas (François, si tu me regardes) puis c’est Deneuve qui prend le relais du personnage dans la partie contemporaine remariée à Delpech (vive la pop made in France) mais batifolant à jamais avec Jaromil devenu vieux, Milos Forman himself.
Deneuve : une marque et une caution, à la fois historique et moderne, le moyen le plus direct pour rendre hommage au panthéon du cinéma et s’en revendiquer l’héritier. Catherine aime les petits jeunes qui le lui rendent bien: hier Ozon, Despléchin, aujourd’hui Honoré, tenant régulièrement comme ici des rôles de monstres maternels, d’écrabouilleuses d’enfant. Supplément people, Honoré s’amuse à lui coller sa propre fille dans les pattes, comme Téchiné il y a vingt ans dans Ma saison préférée, ou Despléchin dans Un Conte de Noël. Deneuve en sort toujours vivante, sa fille moins. C’est le sujet en creux des Biens aimés, film trop complaisant pour être un grand film sur le conflit de génération, mais dont le déroulé et les inspirations typiques en font une démonstration efficace sur l’éternelle domination des enfants des années 60 sur leur descendance. Les folles années Deneuve sont ici polies par un glamour vintage et mythifiées par le souffle de la grande histoire, à côté duquel la sinistrose contemporaine passe pour de la petite bière : entre le printemps de Prague et le 11 septembre, les prémices libertaires de 68 et la chasteté des années SIDA, le film désigne sans le savoir un vainqueur et un vaincu.
Et bien qu’Honoré s’en tire finalement mieux dans la seconde partie, la contemporaine, cela n’y change grand chose au mouvement général de l’ensemble : à la flamboyance éternelle des aînés, toujours vivants, encore jouisseurs au XXIe siècle, la joliesse fébrile des jeunes losers ne tient pas la distance. Le cinéaste a pourtant plus de talent et de motivation pour filmer ces derniers, notamment Chiara Mastrioanni, il finit par défaut dans le camp des pépouzes, à regarder avec empathie pleurer les mères qui enterrent les antihéros de sa propre génération. Honoré a d’autres priorités : s’harnacher de procédés (comédies musicale, coups de casting, clins d’œil), qui mis bout à bout cherchent à bâtir un style, hélas dénué de la moindre singularité : trop bourgeois dans ses manières, trop en phase avec son époque, trop zélé dans son adoration du passé pour prétendre au classicisme. A cela il y a tout de même une contrepartie positive, l’ADN pantouflarde du film que tant d’afféteries ne sauraient cacher: sa trame molletonnée de mélo au long cours assure au spectateur du dimanche soir un confort appréciable.