Un nouveau Besson donc, un Besson comme à l’époque. D’abord, une remarque : alors que celui-ci avait promis il y a quelques années qu’il laissait derrière lui son oeuvre de réalisateur (Angel-A puis les Minimoys : le finale ne manquait pas de panache), ce retour imprévu ne fait, dans les médias, qu’un demi-événement. À cette aune, le film étant ce qu’il est (pas terrible), il n’en pose pas moins une question intéressante. A quoi ça peut bien ressembler, aujourd’hui, un film de Luc Besson, alors que c’est toute la production française à gros budget qui s’est bessonnisée ? Est-il encore possible à Besson de faire valoir sa singularité ? En a-t-il encore une ? A la limite, il n’y a même pas besoin de voir le film pour répondre. Il suffit de s’en tenir à l’affiche, au titre, pour comprendre que ces Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec ne sont plus qu’un prototype parmi d’autres sur la chaine d’une petite entreprise qui, de fabuleux destins en aventures extraordinaires, a bien profité. De cet imaginaire-là tel qu’il s’est démultiplié, Besson reste le héros mais son statut a changé. Vingt ans en arrière, son inspiration, toute neuneu qu’elle était, pouvait au moins rayonner depuis sa solitude, la particularité qu’elle faisait valoir dans le paysage. Aujourd’hui, pour le soleil de ce qui est devenu, à partir de lui, une constellation, il y a une coopérative à gérer.
Reconnaissons-lui de prendre à coeur ce rôle de patron. On avait loupé les projos presse d’Adèle Blanc-sec alors on l’a vu en salle et là, surprise, Luc était là, VRP jovial et en t-shirt. Pour dire quoi ? Par exemple, ceci : que le film, une fois fini, s’était révélé plus léger qu’il ne l’aurait imaginé avant de commencer et que, peut-être, cette légèreté avait à voir avec le « contexte ». C’est la crise alors, a-t-il expliqué, ça ne peut pas faire de mal, un peu de légèreté. C’est gentil de penser à nous, Luc, et de venir déposer en personne, sur les plaies creusées par le quotidien qui sévit dehors, ton film-pansement. Concrètement, comment s’y prend-il, ce cinéma, pour nous réconforter ? La réponse est connue, puisqu’il y a longtemps déjà que sévit son programme : en nous parlant comme à des enfants, évidemment. Quand le film commence, il y a pour nous prendre par la main cette voix-off atrocement doucereuse, chuchotant presque, un pur exercice d’hypnose régressive pour nous conter en guise d’introduction le fabuleux destin d’un gros monsieur avec une moustache rigolote. On sait bien le double argument qui va venir claquer sur nos doigts pour avoir fait la fine bouche à pareille invitation. D’abord, c’est simple, on n’y comprend rien parce qu’on a perdu notre âme d’enfant, étouffée sous le maudit cerveau qu’on nous avait pourtant prié, c’est quand même pas compliqué, de « laisser au vestiaire ». Au passage, qu’on nous prête un jour la clef dudit vestiaire, lequel, à titre de musée, ne doit pas manquer d’attrait. Ensuite : ce n’est pas de leur faute, à Besson, à Jeunet, ce sont eux-mêmes de grands enfants. Cet argument-là, quand même, qu’on nous permette d’en douter : difficile de s’en convaincre à les voir, sur les plateaux de télé, vendre leurs films avec l’air triste et renfrogné de vieux messieurs las, dont l’oeil ne semble plus briller, depuis longtemps, de la moindre innocence.
Reposons la question, essayons d’être plus précis. Comment s’y prend ce cinéma pour nous réconforter ? Comment fait-il, surtout, pour ne point trop nous bousculer, nous qui dehors ployons sous la grisaille lourde de l’époque ? C’est très simple : en faisant en sorte de ne surtout rien offrir qui ne puisse être l’objet d’une reconnaissance, qui ne soit, d’emblée, du déjà-vu. Par exemple : le décor, cette carte postale jaunie d’un Paris d’avant qui est la tapisserie dans le fond de tous les films-pansements depuis Amélie Poulain. Ou encore : les citations d’Indiana Jones (la partie égyptienne du début, catastrophique) ou de Star wars (une momie claudicante calquée sur C-3PO), qui sont sans distances, absolument littérales. Pourquoi ne le seraient-elles pas, puisqu’il s’agit seulement de les reconnaître, comme il faut reconnaître, derrière le latex des grandes oreilles et des gros pifs, les acteurs ?
Sur l’adaptation de la BD de Tardi, on ne se prononcera pas, puisqu’on n’a pas lu les albums. Mais on croit avoir compris, quand même, que son personnage fut conçu comme un modèle d’impertinence, que c’était un personnage un peu anar. Besson reprend, semble-t-il, ses péripéties à la lettre (l’éclosion inopinée d’un oeuf de Ptérodactyle en plein Paris de la Belle époque, le réveil de momies, etc), les prolongeant seulement d’un personnage de soeur qui n’existait pas chez Tardi. Mais de l’impertinence en question, que reste-t-il ? Rien de plus que les signes de la désinvolture, tels qu’ils ont pu être identifiés déjà sur les plateaux télé où Besson a fait son casting. Pauvre Louise Bourgoin, qui n’a rien d’une actrice (il fallait voir le désastre dans Blanc comme neige, son précédent film), et qui n’est sommée, ici, que de reconduire sous forme de répliques-qui-tuent l’effronterie standardisée des petites bulles qui firent sa célébrité sur Canal +. D’ailleurs, qu’on retrouve Jean-Paul Rouve au casting n’est pas une surprise. Lui non plus n’est pas très bon, ne l’a jamais été, mais qu’importe : sa fonction, symptomatique, est ailleurs depuis le début. Pas dans le jeu, encore mois dans la mise en scène, mais seulement dans le confort d’un label retrouvé intact, dans l’assurance qu’entre l’écran de la télé, premier pansement national, et celui plus grand des multiplexes, le choc ne sera pas trop rude. Misère du gros cinéma français, qui rêve de communion par l’entertainment quand il n’offre que paternalisme industriel.