Claudine Bories et Patrice Chagnard (lire notre entretien) posent leur caméra dans les locaux de la CAFDA (Coordination d’Accueil des Familles Demandeuses d’Asile) à Paris. Au programme, une investigation aux airs malingres de reportage embarqué : attentes devant les lourdeurs administratives pour obtenir refuge et droit d’asile, échanges plus ou moins sereins avec assistantes sociales et juristes pour tester la véracité des témoignages , retour possible ou non à une vie quotidienne décente, etc. Alternant scènes behaviouristes devant le comptoir d’accueil et face-à-face oraux entre les deux parties dans un bureau, le film se débat avec un soupçon d’opportunisme social. L’opposition entre la tradition hexagonale hiératique (France, terre d’accueil) et une actualité des plus troubles (le label « identité nationale » comme nouveau gadget conservateur) promettait un futur rangement dans la case documentaire de salon post-JT plutôt qu’une exploitation en salles.
Paradoxalement, le duo de cinéastes préfère l’artisanat de la fiction à l’engagement militant arty. Fascinant de scénographie en flux tendu (fourmilière de Babel), le centre d’accueil devient échiquier d’un macrocosme complexe : chaque personne, s’arrache à sa condition sociale ou médiatique (l’ennemi occulte du film, semble-t-il) pour gagner son ampleur de silhouette allégorique. Comme sortis d’un casting pour superproduction humanitaire, les protagonistes échappent pourtant au jeu de rôle caduc : sincérité et tactique dérobée des demandeurs d’asiles versus commisération et balourdise des hôtes administratifs. Devant cette galerie de personnages insaisissable (Caroline, l’assistante sociale ingénue, toute de paradoxes), le doute régit chaque entrevue, comme le pattern d’un polar retors.
La réussite du film est de dériver au large des facilités du bon-plaidoyer-de-gauche pour transformer la réalité d’un lieu en catalyseur romanesque. Beau paradoxe que d’arracher un sujet aux discours ambiants (le poujadisme xénophobe comme le tout-compassionnel), par le grossissement de l’allégorie. Laquelle ne voile jamais la réalité centrale d’une problématique insondée : l’asile est-il véritablement compatible avec toutes les réalités factuelles ? Mais l’intérêt s’étend au-delà d’une simple étude géopolitique pour les nuls. Les lieux, les personnages : toute une matière cinéphilique se dégage d’un talent à saisir l’universalité d’une entraide sociale. Un quiproquo linguistique entre une assistante sociale et un couple de Mongols ? Un simple changement d’axe de la caméra et c’est toute une imagerie de film d’espionnage qui s’invite dans le cadre. Rarement apprécie-t-on autant le détournement d’une rhétorique de la solennité par les armes du cinéma de genre. L’une des meilleures intrigues politiques de l’année viendrait-elle d’un fulgurant domptage du réel ? Sans virer au portrait consensuel de mauvaise conscience citoyenne, l’exercice était périlleux. Le voilà transcendé.