Au vu de la pléiade d’acteurs convoqués, on attendait… quoi, au juste ? Un peu déconcerté par le film, on ne sait plus très bien comment on se le représentait avant de le voir. On sait qu’un film de Blier est généralement moins le résultat d’une découverte que la radicalisation d’une tendance ancienne, venant renforcer sa vision au lieu de la modifier. Quand on veut creuser profond, mieux vaut creuser toujours au même endroit. En attribuant la même démarche aux acteurs qui l’ont suivi, on imaginait forcément chacun faisant son tour de piste, un numéro rodé depuis deux ou trois décennies -voire plus pour certains. Car ces acteurs sont pour beaucoup de vieilles gloires. Les plus jeunes sont dans la force de l’âge : Dussolier, Arditi, Villeret. Albert Dupontel fait figure de jeune premier tyrannisant ses aînés, lesquels sont franchement sur le déclin et ne s’en cachent pas, comme Marielle et Serrault, aux abois, ou Belmondo, carrément à la rue. Quelques-uns s’excusent d’être encore là (Delon), d’autres ne sont plus là et c’est dommage : Ventura, Gabin, Dewaere et surtout Blier père…
On parlait de creuser. Dans Les Acteurs, le cinéaste joue en effet les fossoyeurs, même si sa pelle (comprenez sa plume) est un peu ébréchée. Ce décor abstrait et glacial, presque invisible, ce regard faussement détaché évoquent moins l’hommage ému que la cérémonie post mortem. Un « buffet froid » où chacun arbore un sourire crispé, se demandant s’il a bien été invité à cette sinistre commémoration, dont il pourrait d’ailleurs à tout moment devenir l’objet. C’est donc un film piégé. Et très vite, « l’idée marrante » -mais pas neuve- tourne au vinaigre. Qu’est-ce qu’un homme à l’écran ? Il est pour un moment, et parfois toute sa vie, dépossédé de son image et donc de lui-même. Les Acteurs ne montrent pas autre chose que la circulation gratuite de personnages qui n’en sont pas (et dont les rôles sont interchangeables), simples surfaces ambulantes et lisses à propos desquelles on n’apprendra rien. Grâce à un travail surprenant sur le cadre et la mise au point, la scène devient un espace ouvert à la déambulation, concrétisée à l’écran par les innombrables entrées et sorties de champ. Les figures les plus connues traversent ce film, jouant leur propre rôle, c’est-à-dire le personnage que, de film en film, le cinéma leur a légué. Et encore, certains (comme Balasko) doivent se contenter de jouer un autre (Dussolier), parti bouder jusqu’à la fin.
Ne cherchez pas ici la performance, les rares tentatives tombent à plat. On rit peu, en partie à cause d’une écriture un peu relâchée, d’un humour plus noir que drôle, dont il ne reste aujourd’hui que le grincement désabusé. Voyant que le film fait du surplace, que texte, diction et jeu ne prennent pas, on craint à un moment le pire. Après certaines scènes pénibles -Delon et cette même mimique émue et crispée qu’aux César-, on est prêt à diagnostiquer une lelouchisation avancée du cinéma de Bertrand Blier. Et puis non. Ce qu’il y a de bon comme de déplaisant ici ne tient qu’à l’étrange complexion de ce cinéma unique bien que toujours familier. Quant à Blier, qui apparaît dans le film, son papa lui manque. Comme à Brasseur, avec lequel il tourne une scène à la Carné. Les acteurs sont en voie d’extinction. Le plateau, même en plein tournage, paraît désert. On attendait des retrouvailles, des rires. On a un hommage rance, douloureux, comme un aveu collectif d’impuissance et de résignation, désagréablement imposé par Blier à tous les acteurs du film. C’est salaud. C’est sinistre. C’est beau.