Sur le terrain peu fréquenté du film dédié aux échecs, où situer cette tentative française ? Côté Knight Moves, avec Christophe Lambert, ou côté Computer Chess d’Andrew Bujalski ? Ni l’un ni l’autre puisque Le Tournoi lorgne, de l’aveu même de sa réalisatrice, vers La Fureur de vivre. S’approprier le schéma d’un coming of age movie romantique (celui du film de Ray) en le pliant à la logique rigoureuse du film de sport hollywoodien (dont on retrouve tous les archétypes : le champion, les coéquipiers, le sélectionneur) : voilà un pari ambitieux pour un premier film français.
Cette ambition, Le tournoi va la poursuivre avec ténacité mais sans parvenir jamais à lui donner une forme réellement convaincante. On s’étonne d’abord de ce que la réalisatrice fasse si peu confiance à la dramaturgie propre au film de sport. Suivant les canons du genre, celui-ci oppose un joueur aguerri (Cal Fournier, jeune champion d’échecs français) à un petit génie naissant (un gamin de huit ans qui a appris à jouer en ligne). Si le film se referme bel et bien sur l’affrontement programmé, il refuse pourtant d’en faire un enjeu essentiel, privant le rival de toute consistance. C’est que Le Tournoi veut emprunter, à l’intérieur du film de sport, une voie plus risquée : saisir la peur de perdre de l’intérieur, depuis la conscience du champion rongé par l’hypothèse de sa future défaite. Or le film arpente cette voie avec une très grande maladresse. Dans les couloirs de l’hôtel de Budapest où se déroule la compétition, on voit le champion sombrer peu à peu dans un cauchemar paranoïaque dont on ne ressent jamais l’inconfort. La silhouette grotesque d’un geek déguisé en lapin surgit dans le fond d’un couloir, tandis que les stridences d’une musique électronique assommante essaient, vainement, de dessiner une ambiance oppressante.
A ce stade, peut-être faut-il se dire que le film a besoin de passer par ce mauvais sas pour enclencher sa coming of age story – le champion doit accepter de perdre pour accomplir sa métamorphose. Mais il manque au personnage l’élan suffisant pour rejoindre ses modèles romantiques, dont il ne reste qu’un blouson : celui, rouge, de James Dean dans le film de Ray. La fureur de vivre, le live fast/die young, on les cherche en vain dans les échappées du héros, embarqué pour une nuit blanche sur le scooter d’une jolie Hongroise. D’autant que la réalisatrice a la main lourde quand il s’agit de signifier que le joueur d’échecs quitte le ciel de la mécanique cérébrale du jeu pour redescendre dans son corps. Indice : on lui fait passer le balai. De quelle urgence, de quelle vie retrouvée le personnage fait-il l’expérience ? La mise en scène, à ce sujet, n’est guère loquace : la nuit blanche du champion s’achève déjà sur une aube un peu triste, contemplée en mangeant des sandwichs.
Ce jour fade qui se lève sur Budapest et sur le film ne porte aucune promesse : les rebelles du film de Nicholas Ray sont devenus des enfants sages qui se repaissent du pauvre spectacle d’une aube de carte postale. Et c’est finalement la seule alternative que le film aura trouvé pour son personnage en rupture : le faire passer du circuit de la compétition à celui du tourisme européen.