Il convient tout d’abord de déplorer un tel titre, absurdement préféré à l’original The Grey, lequel avait le mérite (outre d’éviter le spoiler), de rendre compte assez justement d’une mise en scène constamment en demi-teinte, jouant du spectaculaire et du mimétisme documentaire sur un même ton. Revenu de L’Agence tout risque (et surtout de l’insupportable Mi$e à prix), solvable auprès d’Hollywood, Joe Carnahan semble aujourd’hui autorisé à imposer cette obsession de l’entre-deux, la même qui avait pu intriguer avec Narc, il y a dix ans.
Il faut d’ailleurs avouer que ce Territoire des loups, axé sur un même postulat, fonctionne à pleine puissance. Quittant l’Alaska, un avion, qui transportait un groupe d’ouvriers pétroliers, se crashe en pleine forêt. Ses survivants, menés par un expert chasseur (Liam Neeson, paradigme imperturbable par excellence), tentent de survivre aux épreuves du Grand Nord et à la meute de loups qui les ont pris en chasse. Le blizzard ambiant a beau aveugler les personnages, on reste en terrain connu : survival animalier, frictions masculines et lutte intestines exacerbées par une menace invisible, introspection collective sur le besoin de l’entraide groupée. Comme avec Narc, Carnahan estompe tout débordement spectaculaire par son leurre naturaliste (grains, plans secoués), en connexion directe avec la minéralité de ses durs à cuire. Heureusement, la force du film réside moins dans ce minimalisme roublard (et un brin forcé), que dans sa dialectique hybride entre Man vs. Wild et slasher fantastique, quelque peu inédite. Presque invisible, la menace canine n’a d’autre intérêt pour Carnahan que de jouer malignement avec les codes du « boogeyman », tout en installant une atmosphère ésotérique, presque métaphysique de l’Etat de Nature (le « homo homini lupus » hobbesien, à plein régime). Il y a même dans le geste de Carnahan un art de l’épure, qui n’est jamais sans rappeler une grande époque de la série B d’auteur (Tourneur, Ulmer) que l’on pouvait aussi entrevoir dans d’autres récents survivals animaliers fauchés comme The Reef.
Malheureusement, ce Territoire des loups est aussi frappé de la même affliction qui avait estropié Narc en son temps. Une sorte de complexe d’infériorité face au genre qui, dans un dernier quart raté, voit Carnahan raccorder maladroitement sa récréation à un exposé psychologisant de ses archétypes. Comme honteux de s’en tenir à un statut d’entertainer, le réalisateur s’échine à faire de son film un traité philosophe de la survie et de ses martyrs une allégorie de la condition prolétaire (« mieux vaut mourir comme ça, que de retourner à sa vie de merde », mouais…). Résultat : un amas de poncifs aussi inutiles que déconnectés de la gratuité initiale, une frustration façon coïtus interrumptus, qui dévitalise tristement l’étreinte initiale. Un sursaut d’hybris artistique, en somme, qui ferait presque oublier que, pendant une heure, on tenait peut être une des séries B de l’année.