Avant toute chose, il est nécessaire de féliciter les interprètes (on ne peut plus parler de traduction à ce niveau) qui se sont occupés de faire passer le sobre titre original (Liar) de la langue de Shakespeare à celle de Moliére pour en arriver au judicieux « Suspect Idéal ». En effet comme beaucoup ont pu le remarquer, il y est fait une subtile analogie avec un autre film désormais célèbre (Usual Suspect), cela n’est évidemment pas le fruit du hasard car Le Suspect Idéal n’est rien d’autre qu’une variante sur le même thème : le mensonge et ceux qui l’emploient.
Wayland (Tim Roth), jeune homme de bonne famille, est suspecté du meurtre d’une prostituée sur laquelle on a retrouvé son numéro de téléphone. Les inspecteurs Braxton (Chris Penn) et Kennesaw (Michael Rooker), qui s’occupent de l’enquête, décident dès lors de le faire passer au détecteur de mensonge afin d’avoir le coeur net sur sa culpabilité. S’ensuit le célèbre jeux du chat et de la souris pour enfin arriver à la non moins fameuse inversion des rôles, tout en sachant dès les premiers plans que Wayland détient 151 de QI et qu’il est frais émoulu de Princeton section psychologie. Donc c’est sans surprise que nous assistons à la défaite des deux policiers incapables de rivaliser avec un suspect qui les surpasse aisément. Cette glorification du héros est d’ailleurs bien encombrante pour le film, car elle est à la fois une de ses seules réussites et son plus grand défaut, le héros en question étant particulièrement fouillé psychologiquement. Ainsi le personnage de Wayland (magnifié par le jeu de Tim Roth) a tendance à éclipser tous les autres, ne laissant aucun doute sur son évidente supériorité. Ce qui nous vaut quelques scènes de monologues parfois réussies (le dialogue dans le peep show), souvent totalement ratées (les nombreuses scènes d’interrogatoire).
On sent l’évidente volonté des scénaristesde se refuser à toucher à leur personnage chéri incarnant constamment le maître du jeu. Mais ce n’est pas le pire, car si le scénario très confus arrive parfois à ses fins en laissant le spectateur abasourdi par l’intelligence machiavélique du héros, la mise en scène par contre souffre particulièrement de la même volonté d’épater la galerie. Ainsi les frères (jumeaux pour la petite histoire) Pate, afin d’exprimer « cinématographiquement » la déstabilisation des protagonistes, multiplient les effets les plus lourds et vulgaires qui soient. Cette stratégie atteignant son point culminant lors d’un monstrueux travelling optique sur le visage de boeuf de l’inénarrable Michael Rooker essayant désespérément de simuler la surprise.
Le Suspect Idéal atteint donc rarement ses objectifs et n’arrive pas à nous faire oublier son modèle, Usual suspect qui, même s’il était également bâti sur une arnaque de cinéma (la représentation du mensonge comme un flashback), arrivait au moins à tenir en haleine son auditoire par une mise en scène sobre mais efficace, l’antithèse de la marque de fabrique des frères Pate.