Acteur un peu facilement estampillé « jeune cinéma français », double idéal choisi par les réalisateurs entre-deux âges pour porter avec sa gueule d’ange toutes les misères du passage à l’âge adulte (Desplechin et « sa vie sexuelle », Yves Caumon et son « amour d’enfance »), on oublie souvent que Mathieu Amalric est aussi réalisateur. On n’hésitera pas à dire surtout réalisateur, car c’est sans doute là qu’est son tempérament véritable ; Le Stade de Wimbledon n’est pas le film d’un acteur « passant de l’autre côté de la caméra ». Aucune pose auteuriste, aucune recherche d’un public, ni même de filiation avec les metteurs en scène dans le giron desquels il a oeuvré. Le film d’Amalric résulte d’une démarche libre, sensible, intuitive et originale.
En s’emparant du roman de Daniele Del Giudice, il prenait pourtant un double risque : l’adaptation d’un roman italien qui se déroule dans une ville étrangère et un sujet ténu, littéraire, voire « méta-littéraire ». Un jeune homme (transformé en Jeanne Balibar) part sur les traces de Roberto Bazlen, célèbre figure littéraire qui n’a pourtant jamais écrit de livre. La ville de Trieste, cité italienne esseulée au bord de l’Adriatique, baignée d’une grisaille romantique, est le cadre de son enquête. Enquête dont on se garde bien de révéler les motifs, le point de départ ou d’aboutissement. Il s’agit d’un parcours jalonné de rencontres, de discussions, « d’états » plus que d’expériences. L’héroïne (sans nom) ne perce aucun mystère : le portrait de cet homme mort sans avoir écrit se dessine en creux, n’est plus qu’un point de fuite dans le trajet de la jeune femme qui recueille les témoignages de ses amis et de sa femme. La littérature elle-même est le grand absent du film, évacuant à la fois la matière livresque (absente) et dramaturgique. Rien ne se passe, sinon une suite de transitions très concrètes : Balibar arpente les rues de Trieste, passe d’une librairie à un café, d’un train à un autre, atterrit dans une station balnéaire, et, endormie sur une planche à voile, se laisse dériver au large. Une voix-off parcimonieuse relie ces séquences, manière de renouer avec les mots, avec l’élégance littéraire d’un langage retraçant une expérience intime, la recherche d’un sens qui passe par un désenchantement de la fiction.
Sur un point pourtant, Le Stade de Wimbledon n’échappe pas à la règle du film à enquête : l’héroïne d’Almaric suit des traces, des indices, mais en cherchant à reconstituer le sens d’une vie, se confronte à la sienne. En voulant comprendre le renoncement de l’écrivain, la jeune femme fait aussi l’expérience du vide et de l’angoisse. Amalric réussit ainsi le portrait d’une femme solitaire, volontairement égarée, dont le film -à l’opposé d’un « trip » littéraire et contemplatif- épouse la tension intérieure. Le Stade de Wimbledon évite ainsi les clichés de la quête spirituelle et tient avec rigueur et inspiration ses partis pris de départ.