Fable estudiantine sur les prémices du féminisme d’après-guerre, le Sourire de Mona Lisa a une décennie de retard. Ah ! Les années 90… Le réalisateur Mike Newell était alors au sommet de sa gloire avec Quatre mariages et un enterrement, Julia Roberts surfait d’Oscars en succès et Le Cercle des poètes disparus se posait en film-étalon de l’usine à rêves californienne. Mais voilà, le nouveau millénaire s’annonce morose pour tout ce petit monde : Pretty woman perd de son éclat en quasi-figurante dans un Soderbergh sur deux, Newell sombre dans l’oubli avec Les Aiguilleurs (flop invisible avec John Cusack) et l’ex film-culte de Peter Weir s’enfonce petit à petit dans le purgatoire télévisuel des après-midis de Noël.
Un décalage lourd de conséquences. Difficile pour Newell et son équipe de le dépasser, voire même d’en jouer. De facto, le film en reste là, toujours à mi-chemin entre la négation absolue d’une situation évidente et la volonté de s’inscrire consciemment dans ce genre à peine obsolète. Témoin, la première scène de cours magistral, où Julia Roberts, prof d’Histoire de l’Art progressiste, perd le premier affrontement avec ses élèves pétries de culture réactionnaire. La star sur le déclin en jupe longue -grosses lunettes contre de jeunes louves impertinentes, érudites, glamour et magnétiques : le déséquilibre est là dès le départ et Newell n’y pourra rien changer. En cadre sup d’Hollywood, Julia l’emportera à la régulière sur les fascinantes nymphettes qui attendront leur prochain film pour rayonner de mille feux. Reste au moins à raconter proprement une histoire et le bon faiseur qu’est Newell s’exécute, son petit kit de comédie dramatique hollywoodienne sous le bras. Comique sage, bons mots, émotion mesurée, calibrée, personnages entièrement dessinés à la sociologie du film (la belle, la grosse, la délurée, le petit prof séducteur) mis en image et montés avec une technique impeccable, toutes les boucles sont bouclées, retravaillées avec un soucis constant du consensus.
Au premier bâillement, on se dit alors que ce rythme tranquille éclaboussera forcément l’un de ses artisans. D’abord Newell, que le film consacre officiellement faiseur et rien d’autre, sûrement idéal pour mettre en image des scripts rigoureux encadrés par des studios tout-puissants (il fera d’ailleurs Harry Potter 4), mais incapable d’imposer un point de vue personnel sur la durée. Puis Julia Roberts, star un peu triste à la recherche de sa gloire fraîchement passée, que ce rôle à Golden Globe mais pas à Oscar ringardise de toute évidence. D’autant que la concurrence est rude. Outres les sublimes Maggie Gyllenhaal et Kirsten Dunst déjà repérées ailleurs, c’est surtout l’admirable Julia Stiles, troublante beauté rétro au jeu subtilement retenu, qui embrase littéralement la pellicule. A l’image du scénario, les conservateurs l’emportent, mais peut-être pour la dernière fois.