Si l’on s’en tient au résumé, le premier long métrage de Virginie Wagon pourrait bien passer pour ce qu’il n’est pas : une simple histoire d’adultère à la progression prévisible et au dénouement bassement moral. Le refrain en effet est connu : une jeune mère de famille, heureuse en ménage, entame une liaison avec un inconnu croisé dans le cadre du travail. Leur relation prend une ampleur qu’elle ne pouvait soupçonner et la voilà bientôt en train d’assouvir de plus en plus souvent ses ardeurs avec l’homme en question. Passé l’enthousiasme des premières heures, elle abandonne pourtant son étalon fougueux (un danseur black américain, s’il vous plaît !) pour retrouver, on le devine, les familières douceurs du lit conjugal et de la maternité.
Seulement voilà, Le Secret, s’il ne dépasse le cadre de cette trame simpliste et cousue de fil blanc, l’explore en profondeur, délaissant la superficialité de son argument pour s’attarder non pas sur l’adultère en soi -ce qui n’aurait guère présenté d’intérêt- mais sur ce qu’il exprime. Si Virginie Wagon se sert des mots, elle en use avec parcimonie et ne demande jamais aux dialogues d’expliciter ou de commenter l’action. La force qui anime son film provient principalement de son refus du recours à la psychologie. Le personnage central, Anne, se laisse glisser dans une relation dite coupable non pas tant pour le plaisir (même si les scènes d’amour sont d’une rare intensité) que parce que la relation en question, dans ce qu’elle est -animale, sexuelle, mais aussi tendre- la projette sur un terrain nouveau, exotique et nécessaire dans la mesure où il équivaut à la reconquête de son individualité. En adoptant son point de vue, la réalisatrice s’empêche aussi de l’exprimer. D’où l’importance d’un titre en apparence banal, le secret d’Anne, son aventure, ne peut, par sa nature même, s’exprimer oralement. La clandestinité implique un silence dans lequel se reconstruit et s’épanouit une personnalité qui se découvre bridée par une relation matrimoniale heureuse mais par trop fusionnelle.
Dans un premier temps, où se situent les plus beaux moments du film, seule l’image peut porter ce discours et le film profite pleinement de cette absence d’énonciation, de prononciation. La parole ne joue qu’un rôle accessoire dans les rapports qui se nouent entre Anne et son amant et la révélation de sa liaison à son époux ne s’appuie pas sur le dialogue. La jeune femme laisse son corps parler, elle décide simplement, en rentrant chez elle, de ne pas dissimuler les marques (rougeurs, traces de succions) de son infidélité. Riche idée de mise en scène, purement cinématographique qui, encore une fois, nie le dialogue. La réussite de Virginie Wagon est là tout entière : rendre concret par son regard seul l’indicible besoin d’une intimité qui ne signifie pas la trahison du couple conjugal et qui ira, paradoxalement, jusqu’à le sauver parce que sa redéfinition est indispensable à sa survie. Il serait injuste dès lors de voir en Le Secret une leçon de morale, car sa conclusion normative n’est valide que parce qu’elle implique la reconnaissance du je interdit, à la fois parallèle et consubstantiel au je (nous) domestique.