Plus connu hors des frontières allemandes que d’autres représentants du renouveau du cinéma germanique des années 70 (Herbert Achtenbush, Lothar Lambert, Rosa von Praunheim, Thomas Harlan), Werner Schroeter n’a cependant jamais bénéficié de succès publics marquants, contrairement à ses contemporains les mieux lotis (Rainer Werner Fassbinder, Wim Wenders, Werner Herzog). S’il jouit en France d’un prestige critique mérité, ses films sont malheureusement diffusés en circuits restreints et n’ont jamais touché qu’une audience limitée. La reprise du Roi des roses, tourné en 1984, peu avant la mort de son interprète et coscénariste Magdalena Montezuma, témoigne pourtant encore de la profonde originalité de son auteur et de la richesse de son univers. Impur en diable, le cinéma de celui que les Allemands baptisèrent « le von Sternberg de la contre-culture » s’abreuve sans retenue à toutes les sources d’inspiration artistiques, qu’elles soient littéraires, théâtrales, lyriques, musicales ou picturales. Le Roi des roses, qui rend hommage à Mélina Mercouri aussi bien qu’à Puccini, Poe, Neruda ou de la Tour, ne déroge pas à la règle. Maelström insolite d’une puissante sensualité, le film ne s’épuise jamais dans la citation : chaque référence culturelle est une nouvelle pièce ajoutée au puzzle esthétique et émotif (ces deux propriétés étant indissociables chez Schroeter) que constitue l’ensemble.
Dans une villa délabrée, une mère tente de lutter contre les pulsions homo-érotiques de son fils, fasciné par la beauté d’un paysan portugais, captif consentant d’une roseraie dont il devient le souverain. Le scénario s’appuie sur cette situation, jouant avec la maestria d’un bouleversant opéra des contrepoints dramatiques offerts par la roide solitude d’une diva isolée et la sensualité courbe d’un corps masculin qui s’offre à la contemplation dans une lumière digne du Caravage. Des images récurrentes, prolepses de la douleur, analepses du désir, conduisent à un final de feu et de sang qui parachève majestueusement ce poème de génie, manifestation exaltante autant qu’exaltée d’un irrépressible esprit baroque. La théâtralité appuyée s’ouvre alors au sublime, dont Le Roi des roses est une rare et troublante incarnation de cinéma.