Il y a de ça quatre ans, Stanley Kwan, auteur renommé de Rouge et de Center Stage, consacrait un documentaire à la perception de l’homosexualité dans le cinéma chinois. Yang + Yin : Gender in chinese cinema, demeuré inédit en France, se voulait, à travers une suite d’extraits de films et d’entretiens, l’équivalent de ce qu’avait été Celluloïd Closet pour le film hollywoodien. Le cinéaste se heurtait dans son entreprise à de nombreux silences de la part de ses confrères, à des réponses hypocrites ou fuyantes (notamment de Leslie Cheung, l’interprète d’Adieu ma concubine) qui disaient bien à quel point le sujet demeurait tabou pour la société chinoise dans son ensemble mais aussi pour l’industrie, peu encline à s’attirer les foudres des autorités gouvernementales. Le sujet a donc été peu traité, et rarement de front. Outre le film palmé de Chen Kaige, qui se réfugiait derrière le travestissement théâtral et la reconstitution d’époque, seuls Happy together et East Palace, West Palace abordaient la question de l’homosexualité. Le Protégé de madame Qing, second film de Liu Bingjian, attaque à son tour la question et se risque à situer son histoire dans le Beijing d’aujourd’hui.
Ses protagonistes ne sont pas des marginaux ni de jeunes branchés en mal de sensations fortes mais des citoyens on ne peut plus ordinaires que leurs parcours parallèles amènent à assumer une sexualité jusque-là non exprimée ou réfrénée. Xiao Bao est un jeune provincial qui, fraîchement débarqué à Pékin, trouve une place de vendeur dans un magasin de vêtements. Sa patronne se prend d’affection pour lui et lui présente une de ses amies. Mais, après quelques rendez-vous, cette dernière soupçonne que le garçon ne s’intéresse pas aux filles. Alors que Xiao Bao trouve refuge chez un copain d’enfance qui vit avec un homme, la propriétaire du magasin abandonne son époux pour s’installer avec la jeune femme qu’elle pensait initialement faite pour son employé. Tourné clandestinement, Le Protégé de madame Qing n’a rien, pour le spectateur occidental, d’un objet de scandale. La force de Liu Bingjian, et peut-être ce qui, justement, peut déranger la morale chinoise et ses défenseurs, c’est sa retenue. Il ne joue ni la carte de l’érotisation ni celle du brûlot vindicatif mais inscrit son récit dans une normalité urbaine terne, familière au public local : rues de Pékin, appartement conjugal de Mme Qing, magasin de vêtements.
Absence de lyrisme, aucun abus dramatique, refus de l’esthétisation : le metteur en scène évite le clin d’œil autant que le militantisme et porte avant tout son attention sur l’évolution de Xiao Bao et de sa patronne, se détournant ainsi adroitement des poncifs du cinéma gay. Le film n’est jamais handicapé par son discours parce que le réalisateur n’envisage pas ses personnages comme des symboles ou des porte-parole mais bien comme des êtres complexes. Leur différence s’exprime certes par le vecteur de la sexualité, mais elle reste avant tout une différence à laquelle peut être assimilée toute résistance au régime politique, qu’elle soit d’ordre culturelle ou idéologique. A l’instar des images de Liu Bingjian, le propos est pudique, mais suit une ligne directrice forte, et dont la délicatesse et la légèreté sont tout à son honneur.