Cultivant un climat délétère assez superficiel, le premier long métrage de Bertrand Bonello, Quelque chose d’organique (98) avec Romane Bohringer et Laurent Lucas ne nous avait à l’époque pas vraiment convaincus. Débarrassé de ses tics auteuristes, le cinéaste nous revient avec un deuxième film éblouissant, porté par l’interprétation d’un Jean-Pierre Léaud en grande forme, dont la composition aussi fantaisiste que tragique illumine de bout en bout les affres de son personnage, un réalisateur de films X forcé de reprendre du service pour gagner sa vie.
Accompagné des mêmes rumeurs sulfureuses que Romance ou Baise-moi, Le Pornographe risque pourtant de décevoir plus d’un spectateur alléché par les promesses licencieuses sous-entendues dans le titre. Si le long métrage de Bonello contient effectivement une scène de cul filmée avec la plus grande lisibilité (environ 3 mn sur 1h50 !), l’un de ses principaux atouts est surtout de présenter le porno sous un angle assez inédit. Soit le héros, Jacques Laurent, grande figure du X dans les années 70, qui tente de transformer son come-back dans l’univers des hardeurs en expérience cinématographique. L’ambition artistique de son personnage permet alors à Bertrand Bonello de montrer un tournage porno dans sa routine la plus cocasse (les filles qui évoluent sur le plateau dans le plus simple appareil, les dialogues surfaits et le rythme effréné des prises…) tout en débarrassant, en grande partie grâce au visage grave de la belle Ovidie, les pénétrations et autres fellations d’une obscénité aussi facile qu’attendue. L’indécence n’est ainsi pas forcément là où on l’attend… C’est sur cette notion que repose le film qui opposera plus tard à la gymnastique pornographique les questions inconvenantes d’une journaliste (Catherine Mouchet, comme d’habitude excellente) face à un Jacques Laurent pudique.
Après l’échec de son héros qui ne parvient pas à insuffler un peu d’art dans un milieu devenu une industrie, Bonello filme ses retrouvailles avec son fils, parti il y a longtemps en apprenant le vrai métier de son père. Le cinéaste suit tour à tour les deux hommes et établit leur rapport de filiation non pas sur la chair (trop de temps a passé) mais sur leur morale de vie, plus précisément leur volonté commune de rester dignes face aux trop nombreuses compromissions qui érodent une existence. Selon un tempo presque musical qui accorde une durée toute particulière à chaque scène, Bonello saisit quelques étapes charnières de la vie de Jacques Laurent et son fils, à un moment où un l’entame et l’autre la finit. Ce qui fait enfin la beauté du Pornographe, c’est son parti pris de ne pas succomber à un désespoir trop grandiloquent ou trop pessimiste, s’accordant à plusieurs reprises des images d’une nature radieuse comme autant de promesses de beaux lendemains…