Peut-on raisonnablement imaginer qu’un cinéaste parvienne à oublier l’ensemble des films vus avant de commencer son propre tournage ? La digestion est parfois douloureuse et le véritable talent réside probablement dans le juste équilibre trouvé entre ce que l’on sait et ce que l’on est. Malheureusement pour Nicolas Bouhkrief, la balance penche plus vers la connaissance que le talent personnel et authentique. Critique, créateur et rédacteur du Journal du cinéma de Canal +, programmateur de Mon ciné-club sur la même chaîne… il connaît à merveille l’œuvre des grands cinéastes, avec une prédilection pour les années 70, souvent négligées par les historiens. Paradoxalement, ce poids culturel constitue pour lui un handicap dont il a du mal à se séparer. Ainsi, Le Plaisir [et ses petits tracas] est jalonné de références à des chefs-d’œuvre du cinéma qui entâchent la découverte du film. A commencer par le titre -choix périlleux- qui renvoie directement au film de Max Ophüls, et à sa construction scénaristique calquée sur un autre chef-d’œuvre d’Ophüls : La Ronde.
Plusieurs histoires composent en effet le film construit en boucle, se terminant par le personnage qui apparaissait dès la première séquence. Un entrelacs d’histoires lient un militaire et une infirmière, qui rejoint son ami comique raté, lequel rencontre une femme mariée à un riche notable, attiré par un jeune homme, très lié à sa sœur actrice porno, tuée par un mystérieux personnage présent au début du film.
Cette construction renvoie donc au film d’Ophüls, mais les thèmes abordés dans les petites histoires, le traitement adopté et le choix des univers nocturnes rappellent de manière transparente les films de Scorsese, Coppola ou Ferrara. Malgré des passages habilement mis en scène et interprétés par des comédiens qui se fondent bien aux univers décrits par le cinéaste (Cassel en sombre assassin, Kassovitz en comédien raté, Julie Gayet en infirmière charmante, Michele Placido en notable désespéré se perdant dans le vice…), le film se révèle finalement être très cérébral, trop pensé, trop réféléchi. La manière dont un cinéaste parle de son propre film est souvent révélatrice de la distanciation qu’il a su instaurer avec son histoire et ses personnages. Nicolas Bouhkrief, rompu à l’exercice de la réflexion et de l’analyse des films de l’histoire du cinéma, dissèque sa propre œuvre en décrivant sans hésitation ses motivations, ce qu’est devenu son film, ses qualités et ses faiblesses. Alors que son premier film (Va mourir) pêchait par trop d’à peu près, son deuxième est cadenassé par un rigorisme excessif empêchant l’imagination du spectateur d’être stimulée.