C’est à partir d’une scène rayée du scénario de La Vie rêvée des anges qu’Erick Zonca a élaboré Le Petit voleur. De fait, les deux films traitent différemment un même sujet : la jeunesse et ses errances brisées. Dans La Vie rêvée des anges, deux filles sans avenir partagent un même quotidien dévoyé ; quand l’une se suicide, l’autre se range. Le héros du Petit voleur, après avoir lâché son job d’apprenti boulanger pour se faire truand à Marseille, finit lui aussi par renoncer à une vie en marge (la mort l’ayant frôlé de près, il redevient boulanger). A histoire semblable, Zonca opte pour un traitement identique. Il systématise son besoin de traquer ses personnages en plans serrés et surtout caméra à l’épaule, et compose essentiellement ses plans en suivant les mouvements plus ou moins improvisés de ses personnages. Ces derniers déterminant le cadre à sa place allègent Erick Zonca d’un poids : celui de son devoir de cinéaste. Un plan filmé à l’épaule devrait toujours être construit avec une extrême rigueur, faute de quoi il sert l’idée fallacieuse d’un cinéma vérité, et brise la dépendance de la caméra à la situation dramatique qu’elle enregistre. Les Dardenne ont utilisé le procédé, mais leurs plans étaient toujours maîtrisés, et tendaient à un but précis : nous placer toujours en retard sur l’action (quoi que l’on puisse en penser, leur parti pris est étudié). Zonca, lui, préfère laisser tourner et rester à l’affût, en attendant que ses acteurs lui livrent quelque chose d’intense et d’irréfléchi. A un moment du film le jeune homme boxe une porte : quelle prise va garder Zonca ? La plus forte, évidemment. Soit celle où le garçon est exalté au point de se mettre pour de bon les mains en sang. A la question suivante : « Vous n’avez pas peur qu’on vous taxe de complaisance par rapport à la violence ? », Zonca commence par préciser qu’il est d’origine italienne, pour affirmer ensuite que « quand on fait un film sur un jeune qui pense s’affirmer par la violence, on montre tout ». Un cinéma voyeuriste et percutant, voilà ce que semble rechercher Erick Zonca, qui n’a pas compris que le paparazzi est l’ennemi du cinéaste. Sans scrupule, Zonca n’hésite pas à filmer en plan rapproché fixe l’égorgement du jeune homme. Son cou tranché, le sang qui pisse pendant 10 secondes, les râles noyés d’hémoglobine : rien, il ne nous épargne rien. Deux solutions : ou Zonca aime choquer et c’est une canaille intéressée (car le public aime qu’on l’agresse et c’est bien regrettable), ou il n’a pas trouvé de meilleurs moyens de montrer l’âpre retour de son petit voleur à la réalité et c’est un incapable. Si Zonca ne craint manifestement pas qu’on s’évanouisse devant son film (ce serait même plutôt bon pour sa promo), il semble en revanche inquiet qu’on ne le reconnaisse pas comme un vrai cinéaste.
Alors que la plupart des plans qui constituent Le Petit voleur alternent un suivi quasi documentaire de l’action (ce qui équivaut souvent à une démission de la mise en scène au profit de la « performance » d’acteur) et un découpage ultra-classique (scènes à deux uniquement en champ-contrechamp, etc.), Zonca tient à nous prouver qu’il peut aussi faire montre de style. Ca se traduit par des effets de montage ou de cadrage plutôt factices, car jamais vraiment nécessaires au déroulement de l’intrigue. Dans J’entends plus la guitare, Philippe Garrel montre en un plan subtil comment un personnage paumé et toxico a renoué avec une vie normale : à mesure que le plan s’élargit, on passe du visage de l’homme à son costume-cravate, puis on découvre qu’il a une femme à ses côtés, puis qu’elle tient un nourrisson, etc. Ce plan est efficace, car il prend progressivement notre imagination à contre-pied en lui présentant graduellement des éléments qu’elle pouvait difficilement prévoir. A l’inverse, quand Zonca utilise un procédé similaire, il n’a que peu d’intérêt : une bande de voyous marseillais discute pendant une bonne minute, jusqu’à ce que le découpage consente à nous montrer que le jeune homme y assiste. Mais comme la scène précédente nous montrait le départ du garçon vers Marseille et son intention d’y rencontrer des malfrats, dès que ceux-ci apparaissent, nul ne doute qu’il va les rejoindre. Zonca ne fait donc que se simplifier la vie grâce à un gentil coup de théâtre qui accélère l’histoire et le dispense d’écrire et de filmer une charnière complexe du scénario. A savoir comment le jeune type est parvenu à faire partie d’une bande de gangsters. Tout le film procède à vrai dire par ce genre de bonds elliptiques, qui permettent à Zonca de ne filmer que la violence ou le pathos. Il s’avère que son désir passionnel et impulsif le prive de toute déontologie dans sa démarche. A la fin du film, notre jeune homme ayant survécu retourne pointer, alors qu’il voulait échapper au système. Mais un employé l’exhorte à se rendre à une réunion syndicale… Avant de vouloir faire du petit voleur l’instrument d’une morale politique grossière, il serait bon que Zonca se forge une solide morale de cinéaste.