Né à Bucarest en 1937, étudiant à l’université hébraïque de Jérusalem, réalisateur de documentaires à Paris depuis 1971, auteur d’une monographie sur Eisenstein, le parcours atypique d’Abraham Ségal est d’une richesse exemplaire. Le documentariste a su s’attaquer à des sujets aussi différents que la transformation d’un quartier parisien (Alesia et retour, voyage phénoménal, 1983), la psychiatrie asilaire (Hors les murs, 1986) et la peinture (Van Gogh, la revanche ambiguë, 1989 ; Toutes les couleurs, 1990). Après avoir achevé en 1996 une enquête sur Abraham (diffusée récemment sur la Cinquième), Ségal s’est attaqué à la figure la plus mystérieuse mais aussi la plus controversée de la mémoire judéo-chrétienne, Paul.
La principale source biblique qui nous raconte la vie de Saül de Tarse sont les Actes des Apôtres. Originaire de Tarse (en Cilicie, au sud de l’actuelle Turquie), Saül était un pharisien dont la première vocation fut de persécuter les « adeptes de Jésus ». Sa rencontre avec le Christ sur le chemin de Damas en a fait la figure même du converti, et ses Epîtres l’un des penseurs les plus profonds et les plus inspirés de la foi chrétienne. Abraham Ségal a voulu que son film prenne la forme d’une enquête qui épouse l’itinéraire de Paul, qui parcourut une bonne partie du monde méditerranéen pour tenter d’implanter dans les communautés juives ou païennes la spiritualité chrétienne. Didier Sandre incarne l’enquêteur chargé de recueillir, en Israël, en Grèce, en Turquie, à Chypre, mais aussi en France, au Vatican et même à New York, des témoignages d’historiens, d’exégètes et de théologiens juifs ou chrétiens de toutes obédiences. Et effectivement, on mesure au fil de ces interviews l’influence déterminante de saint Paul, mais aussi l’insondable mystère du personnage qui justifie le titre du film. Paul est la véritable jonction historique et idéologique entre les mondes juif et chrétien. Il défend au péril de sa vie les idées chrétiennes au sein même du temple, s’attirant les foudres des juifs orthodoxes qui le persécuteront toute sa vie. Dans le message du Christ, il puise une pensée universelle, une vision de l’homme et du monde qui transcende la foi chrétienne pour en faire un projet humaniste et politique. Qu’une vision aussi neuve et puissante soit née dans un esprit fiévreux et instable, après un revirement soudain, fait du destin tragique de Paul l’illustration la plus belle et la plus forte du mystère de la foi.
Le reportage de Ségal cherche à cerner ce qui inspire, fascine ou divise encore dans le message de Paul, aussi bien dans les communautés juives que chrétiennes. Malgré une pédagogie incertaine et quelques redites, on en apprend beaucoup sur cette figure unique, qui a su élever la croyance en Dieu à une hauteur métaphysique jamais atteinte. Ses Epîtres, d’une inépuisable force philosophique et poétique, sont encore capables de toucher le chrétien fervent comme le plus sceptique des athées. Il n’y est pas tant question de religion et de loi que de l’homme, de l’amour, de l’autre et de la présence au monde, saisis par les fulgurances d’une pensée dont l’actualité et le sens semblent toujours renouvelés.