On sait depuis longtemps déjà que le cinéma de Bruno Podalydès (ou plutôt des Frères Podalydès, tant la complicité avec Denis est partie intégrante de sa qualité) tire sa force d’une espèce de littéralité omniprésente, qui fait que chaque corps, chaque discours ou situation semble pris au pied de la lettre, presque aplati. On sait aussi que dans les situations les plus banales (gérer un rapport amoureux dans le diptyque versaillais, piloter un bateau dans Liberté-Oléron) se révèle une forme de ridicule qui gomme immédiatement l’âge des protagonistes. Voici Le Mystère de la chambre jaune, adaptation du génial roman de Gaston Leroux, où cette double voie -l’aplatissement burlesque et le goût pour l’enfance cachée des personnages- se fond en une seule. Conséquence inattendue : la métamorphose d’une énigme policière en une comédie pleine de malice.
Pour allécher ceux qui n’auraient pas lu l’oeuvre de Leroux, on se bornera à ne révéler du « mystère » que ceci : on a tenté d’assassiner Mathilde Stangerson, fille d’un professeur farfelu et fiancée à Robert Larzarc, alors qu’elle se reposait dans une chambre jaune hermétiquement close où personne n’a pu entrer ni sortir. Le jeune et intrépide journaliste Rouletabille mène l’enquête, tout comme Frédéric Larsan, le fin limier de la police. Pour le reste, « le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat »…
Bien qu’il ait donné à Rouletabille un très beau corps d’adulte dans lequel l’enfance insiste doucement, Bruno Podalydès est resté fidèle au roman, tout en se réservant quelques libertés jouissives (dont le recours aux installations de l’artiste Fabien, inventeur d’alambics de bric et de broc dont la seule finalité est de faire emprunter à une bille de fer des itinéraires loufoques). Fidélité ne signifie toutefois pas plate illustration, puisque c’est d’elle que le film tire sa singularité. Ainsi, reprendre au mot près un dialogue de Leroux fait immédiatement basculer le film du côté d’une saine et jouissive truculence. Cette résistance lexicale explorée par Liberté-Oléron (tout le vocabulaire nautique dressant violemment son opacité insondable face à Denis Podalydès), n’est désormais plus de rigueur, puisque le cinéaste, trouvant la juste distance avec l’aspect suranné de son récit, transforme ses dialogues en une ribambelle de petites perles d’une exquise désuétude, de l’interjection outrée -« quel infâme gredin ! »- à l’énumération culinaire (« une petite purée » dans la bouche de Michael Lonsdale ou « des paupiettes ! » dans celle de Claude Rich deviennent de brefs refrains délicieusement entêtants). Quelques scènes d’anthologie (Sainclair, l’assistant de Rouletabille, transformé en pendule rampante) viennent consacrer l’indéniable réussite de ce projet, étendard d’un cinéma populaire et de qualité (au sens noble du double terme), un cinéma de pur plaisir et d’élégance enfantine dont on aimerait qu’il ne restât pas un îlot paradisiaque dans l’océan de médiocrité que tend à devenir le divertissement à la française.