Tradition et modernité. Tout James Bond qui se respecte repose sur ce diptyque inébranlable. A ma gauche, le panneau tradition ; il ne faut surtout pas déstabiliser le spectateur qui a aimé Sean, supporté Roger, repéré George (pour les plus fidèles d’entre eux), entr’aperçu Timothy mais qui ne veut que du James. C’est donc reparti, poursuites effrénées avec moyens de transport sophistiqués (bateau, ski et une voiture dont la marque n’échappera à personne), lieux exotiques variés, pauses érotiques de rigueur, gadgets incontournables, sans oublier un méchant très méchant. Bref, grâce à ce cocktail (agité et non secoué) aux ingrédients archi-connus, on se sent comme chez soi et l’agent secret sauvera le monde pour la dix-neuvième fois. Paradoxalement, à force de jouer avec la mémoire du spectateur, ce genre extrêmement codé finit par nous rendre amnésique tant les scènes sont interchangeables. Celles du Monde ne suffit pas auraient aussi bien pu figurer dans les précédents films ou encore s’insérer dans le prochain sans que l’on s’en rende compte. Il en est de même concernant l’intrigue, aussitôt vue (une sombre bataille pour le monopole du pétrole à destination de l’Occident), aussitôt oubliée.
D’où l’importance du panneau de droite, celui représentant la « modernité » et destiné au public qui ne connaît que Pierce (qui se contrefout d’Ursula Andress surgissant des flots uniquement vêtue d’un bikini blanc soi-disant transparent) et veut du film d’action pour un peu de distraction. C’est là que débute le jeu des sept erreurs ; on passe de gauche à droite et on cherche les différences. Le chiffre sept, malgré sa parenté évidente avec l’espion, apparaît rapidement trop ambitieux. Le jeu n’aboutit qu’à une seule et unique différence : à force de sauver l’humanité, James Bond finit par se rendre compte qu’elle n’est pas uniquement composée d’hommes. Non content d’être au service de sa majesté la Reine d’Angleterre depuis toujours, il est commandé par une femme depuis trois épisodes (Judi Dench) et se voit confronté pour le première fois à un personnage féminin un tant soit peu construit. Les potiches ont enfin un Q.I. Q.I. alibi en ce qui concerne Denise Richards -sa prestation en tant que physicienne nucléaire est aussi crédible qu’une poupée Barbie affublée d’une panoplie de chirurgien du cerveau- mais Q.I. réel en ce qui concerne le personnage d’Elektra King (Sophie Marceau). Un peu moins machiste, un peu plus féministe, cette seule différence vaut-elle pour autant le déplacement ? « Changer un peu pour que rien ne change » (Giuseppe Tomasi Di Lampedusa).
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