En 1917, dans le petit village portugais de Fatima (aujourd’hui haut lieu de pèlerinage chrétien), trois bergers affirmèrent avoir été témoins d’une « apparition » de la Vierge Marie. C’est à ce « miracle », symbole de la crédulité populaire et de l’intégrisme religieux, que s’est intéressé le réalisateur portugais Mario Barroso pour son premier long métrage. Sur fond de complot visant à renverser la toute jeune république portugaise, il décrit le parcours de Salomé, une prostituée qu’un riche homme d’affaires sort de sa condition pour l’installer chez lui. Amoureuse d’un journaliste, la jeune femme décide un jour de tout quitter et de retourner dans son village d’enfance, à Fatima. Trois petits bergers, impressionnés par l’arrivée soudaine d’une si belle dame, pensent apercevoir la Vierge…
Etrangement, et bien que chacun de ces thèmes soit remarquablement traité, ni le contexte politique, ni la religion catholique, ni même l’histoire d’amour ne constituent le véritable sujet du film. Le Miracle selon Salomé, c’est avant tout un magnifique portrait de femme. La ravissante Salomé est entourée d’une faune dont les intrigues politico-religieuses lui sont complètement indifférentes. A l’inverse, elle envoûte tous ceux, hommes ou femmes, qui ont le moindre contact avec elle. Cette fascination, sinon diabolique, du moins surnaturelle, reste inexplicable. Chacun, à des degrés divers, est touché par la candeur de l’héroïne, sa naïveté troublante, son inadaptation évidente à la société. Car Salomé, malgré sa condition sociale, est filmée comme une icône : elle a la beauté irréelle d’une oeuvre d’art de la Renaissance. Ce qu’elle manie ou regarde semble frappé par la grâce. Elle parle si peu que chacune de ses paroles, telle une révélation, prend de l’importance. Pour tous comme pour le spectateur, elle n’est que mystère : de ses origines, de ses motivations, on ne saura rien. Dans la scène-clé du film, elle apparaît aux trois bergers sur une colline, immobile, muette, pensant que la Vierge l’a utilisée pour se faire connaître des hommes. Mais c’est plus que cela ; Salomé est devenue la Vierge, sa foi aveugle l’a totalement livrée au pouvoir de la religion, jusqu’à effacer sa propre identité. Lorsqu’un militaire, ancien client du bordel où elle travaillait, la menace de son arme, on la croirait presque intouchable, immortelle -le temps d’une très belle scène de cinéma. Mais Salomé n’est qu’une femme, et la désillusion est d’autant plus cruelle que la croyance en sa divinité avait été puissante.
Chef opérateur aguerri (il a travaillé avec Ruiz, Oliveira, Monteira), Mario Barroso impose un talent visuel éclatant, surtout au moment de filmer l’héroïne, enveloppée dans un halo de lumière, si blanche qu’elle en deviendrait comme immatérielle. Certes, on pourrait reprocher au cinéaste un traitement trop classique de son sujet. De ci, de là, on tique sur des effets un peu théâtraux, parfois forcés, sans doute dus aux pesanteurs du film à costumes. Qu’importe, cette Salomé-là est un si beau personnage qu’on ne regrette pas d’avoir cru, le temps d’un film, à son miracle.