Probable que notre perception du paysage postcolonial serait bien différente sans les films de Jean-Marie Teno, génial défricheur des paradoxes de l’Afrique contemporaine. Dans la foulée d’Afrique, je te plumerai et de Vacances au pays, Le Malentendu colonial poursuit le décryptage des rapports ambigus entre Europe et Afrique. Il y a deux Teno, celui du documentaire en acte, tirant d’une matière brute son envers critique immédiat (par excellence, le mariage polygame de son dernier film, Le Mariage d’Alex), et celui, plus posé, d’une pédagogie en réaction contre l’ordre officiel de l’histoire. Le Malentendu colonial, réalisé à l’occasion de la commémoration allemande du génocide colonial du peuple Herero, appartient à la seconde catégorie. Parti de Wupperthal en Rhénanie, région originaire de nombreuses missions évangélistes au XIXe siècle, Teno remonte un récit en forme d’enquête, d’Afrique du Sud en Namibie, lieu du génocide Herero, en passant par le Cameroun, son pays d’origine. Les allers-retours et le mouvement du film se fondent sur une interrogation que le recueil de témoignages vivants -très peu d’archives- nourrit sans jamais la combler.
L’histoire des colonies allemandes, rivée à la nécessité de se conformer aux exemples français et anglais, décroche de la thèse, bien réelle mais insuffisante, de la seule agression collective et concertée. Les passages d’un évangélisme de libération à un évangélisme d’assistanat et de servitude, d’une volonté d’ouverture à un colonialisme d’Etat criminel se dessinent ici sans visée trop clairement définie, Teno jouant ironiquement des multiples fragments recueillis. Le meilleur est atteint lorsque l’enquête substitue au premier missionnaire blanc du Cameroun (Alfred Saker, resté seul dans l’histoire officielle) une figure héroïque oubliée, ancien esclave et spectre des rêves déçus de l’émancipation. A la confusion, au risque du malentendu qui sont au principe du film répond le fil familier, souple et chantant, de la voix si singulière de Teno : remontée du collectif à l’intime, pure conscience et mélodie parmi les plus éloquentes que le cinéma africain nous ait données.