Le Lait de la tendresse humaine, c’est un peu Le Jour le plus long. Pas un plan, pas un moment, pas un instant sans que l’écran ne soit investi par une figure connue, incarnant le plus banal des personnages. Une porte s’ouvre, et voici Claude Brasseur ! Papa arrive, et mon dieu c’est Patriiick ! La voisine : Dominique Blanc ! L’amour de jeunesse : Yolande Moreau !, qui, au passage, peine à faire oublier son récent passé chez Deschiens. Et on pourrait continuer comme cela longtemps tant Dominique Cabrera -réalisatrice par ailleurs fort estimable- a convoqué ici un casting pantagruélique… Résultat : on passe plus de temps à reconnaître les comédiens, à s’étonner devant telle ou telle composition, qu’à rentrer de plain-pied dans le film, les affres des protagonistes nous paraissant désespérément lointains.
Pourtant, au départ, le projet de Dominique Cabrera pouvait sembler intrigant : raconter de façon sensorielle le baby blues, cette déprime post-accouchement qui frappe un bon nombre de mamans. C’est ainsi avec une certaine épure que la cinéaste choisit de filmer la panique soudaine et mystérieuse de Christelle (Marilyne Canto, vue notamment chez Herbé Leroux et Manuel Poirier), en jouant beaucoup plus sur la lumière et le cadre que sur les mots. Bain qui déborde, à l’image du trouble de l’héroïne, couleurs saturées, scope venant épouser les courbes magnifiques du paysage jurassien… Il y a là une volonté évidente et appréciable de suggérer plutôt que de dire, d’évoquer plutôt que de désigner. Malheureusement, tout part très vite à vau-l’eau : les figures stylistiques finissent par agacer à force de se répéter vainement, la photo jaunâtre lasse avant d’assommer, le pire étant la représentation que donne Cabrera de la mère « blessée ». En effet, deux ou trois scènes édifiantes suffisent à faire de Christelle un légume en puissance, bien plus mentalement atteinte que déprimée. « Je n’aime pas la décoration de ta cuisine », répond-elle ainsi, le regard vide, à sa voisine qui tente de lui remonter le moral. Pantin désincarné, Marilyne Canto ne peut rien faire, au milieu de ses nombreux compagnons d’infortune, pour éviter le naufrage. Son interprétation, figée par la tyrannie du scénario et le chichi de la mise en scène, est le reflet tristement parfait d’un film froidement empesé.